#NZZ : la passerelle vers la bêtise [MàJ]

Avez-vous déjà bu ne serait-ce qu’une gorgée de bière ? Si vous répondez oui, alors la Neue Zürcher Zeitung (NZZ) risque de vous déclarer alcoolique. Mais si en plus, vous avez déjà auparavant bu du soda, alors le quotidien zurichois pourrait bien aussi demander l’interdiction des sodas aux mineurs en raison de « l’effet passerelle » vers l’alcool de ceux-ci. Du moins, c’est ce que s’est permis de faire à propos de la vape, au lobbying moins stressant que Coca, la NZZ sous la plume de Stephanie Lahrtz dans son édition du 12 septembre dernier. En effet, celle-ci écrit la « e-cigarette est une passerelle vers le tabagisme des adolescents », « (…) des études montrent qu’ils sont nombreux a commencer ainsi une carrière tabagique ».

Une innombrable foule de six jeunes 

Quelles études ? La NZZ se base sur deux études récemment publiées dans le même Journal of the American Medical Association (JAMA). La première a été menée à Los Angeles sous la direction du Pr Adam Leventhal. 2500 écoliers de 14 ans ont été interrogé sur leurs rapports à la vape et au tabac à un an d’écart. Le journal suisse relate « qu’après un an, un quart des consommateurs de e-cigarette à l’origine se sont mis à fumer, mais seulement un sur dix des ex-non-fumeurs ». Pour la journaliste suisse-allemande, ce constat est confirmé par la publication de la seconde étude menée à Pittsburgh par le Pr Brian Primack. Celle-ci montrerait « que 37,5% des consommateurs de e-cigarettes sont devenus fumeurs, contre moins de 10% des anciens non-fumeurs ».
La journaliste remarque tout de même que la cohorte de départ ne présente que 16 utilisateurs de e-cigarettes sur les 700 jeunes de 16 à 26 ans interrogés. « Néanmoins, les résultats sont statistiquement significatifs », conclut-elle sans autre forme de procès. 37,5 % de 16 jeunes, cela fait 6 concernés sur 700. De quoi faire un buzz : « de nombreux jeunes commencent une carrière tabagique ». Six, nombreux… le zürcherdeutsch a ses mesures que la raison ignore.

Ce que cache la NZZ à ses lecteurs 

Mais le principal est occulté dans l’article de Stephanie Lahrtz. Les deux études ont les mêmes problèmes méthodologiques. Non seulement le nombre de jeunes touchés par le « fléau » n’est pas suffisant pour être sérieusement qualifié de « statistiquement significatif ». Mais surtout les questions posées par les chercheurs ne permettent pas de catégoriser les jeunes comme elle le fait.
Les études se sont limitées à demander aux jeunes s’ils avaient utiliser une fois (« ever use ») une e-cig, et s’ils avaient fumer une fois (« ever smoking »). Il est ridicule d’en déduire qu’ils sont vapoteurs et/ou fumeurs. Les jeunes catalogués vapoteurs le sont sur la base de déclarer avoir utilisé une fois une e-cig. Ceci peut correspondre à une expérimentation ou à un usage régulier. Il est impossible de le savoir avec les études publiées dans le JAMA.
Il en est de même pour la catégorisation des jeunes fumeurs. Comme le Pr Michael Siegel, de l’Université de Boston en Santé Publique, l’explique (notre traduction):

« Parce que l’étude définit fumer pour n’importe quel usage de cigarette, même une simple bouffée, nous ne pouvons pas savoir si quelconque de ces jeunes, qui auraient « progressé vers la cigarette fumée traditionnelle », n’est vraiment devenu fumeur. Ils peuvent simplement avoir essayé une bouffée de cigarette et décidé que ce n’est pas pour eux. En fait, c’est tout à fait possible qu’ils ont essayé une bouffée de cigarette et décidé que la e-cigarette a bien meilleur goût, et qu’ils aient choisi de vaper plutôt que de fumer. De cette manière, les e-cigarettes pourraient servir de dissuasion à la fumée pour cette population ».

Ces études ne permettent pas d’affirmer quoique ce soit sur un « effet passerelle » vers le tabagisme, car elles n’ont pas collecté de données sur le tabagisme réel de ces jeunes. « Le tabagisme régulier est un terme scientifique utilisé dans la recherche dans le champ du contrôle du tabac pour parler de jeunes qui ont progressé au point où ils fument des cigarettes sur une base régulière », précise le Pr Michael Siegel.
Réprimer ou réduire les risques ?

Pour celui-ci la couverture médiatique, à l’exemple de CBS ou NYC News, surinterprétant les études est inadéquate. « L’étude, telle que publiée, ne présente pas de découverte de progression vers le tabagisme. (…) L’impression nette donnée aux lecteurs des journaux et au public est que cette étude aurait trouvé une association entre l’usage de e-cigarette et une progression vers le tabagisme. Cependant, la vérité est que cette étude présente une association entre l’essai de e-cigarette et une progression vers l’expérimentation de cigarette », conclut M. Siegel.

En aucune façon, Stephanie Lahrtz ne pouvait parler de « carrière tabagique » initiée pour ces jeunes. Un abus de langage qui confine à la tromperie du lecteur.
Plus loin dans son article, la journaliste note que « 16% des jeunes américains ont essayé des dispositifs [e-cigarettes] ». A ma connaissance, ce chiffre est de 13% en 2014. Mais surtout au fil de l’article zurichois, ces « essais » deviennent « usages » une dizaine de lignes plus tard, et même un « double usage » tabac et vape. La donnée correcte est la première, les statistiq
ues étasuniennes n’enregistrent que les essais, pas l’usage régulier de la vape. Biais confondant comme l’explique une analyse menée par la Pr Linda Bauld dans Nicotine & Tobacco Research (août 2015). En point de comparaison, les statistiques suisses (que l’article de la NZZ présente tronquées) sont de 6,7% de la population des plus de 15 ans a avoir essayé la vape, mais seulement 0,1% à l’utiliser au quotidien.

La vape accompagne la chute du tabagisme

Autre cachotterie de taille de la journaliste de la NZZ, contrairement à ce qu’elle laisse penser, cette augmentation de l’expérimentation de la vape ne s’accompagne pas d’une augmentation du tabagisme des jeunes étasuniens. Au contraire, il a chuté de 15,8% à 9,2% de fumeurs chez les 15/19 ans de 2011 à 2014. L’augmentation des expérimentations de la vape accompagne la chute du tabagisme chez les jeunes américains. Mais ce fait n’est pas ce que la NZZ avait décidé de propager.
La question de la manière de réglementer la vape pour les jeunes en Suisse n’aura pas reçu de cet article à sens unique le moindre éclairage sensé. Elle devrait rester ouverte et être abordée bien plus intelligemment…[MàJ] La NZZ publie ce jeudi 17.09.2015 un nouvel article sur le sujet en contrepoint du précédent. Sergio Aiolfi oppose deux arguments à l’appel à la répression de sa consœur.

Le premier  »retourne’ la statistique pour remarquer que la plupart (de 62% à 75% selon les deux études étasuniennes) des jeunes  »vapoteurs’ ne sont pas devenus  »fumeurs ». L’argument est élégant, mais à mon sens il rate le fait que ces études ne parlent pas de vapoteurs ni de fumeurs, mais de jeunes qui ont essayé l’un et/ou l’autre. Une méthodologie de recueil de données qui les rend inutilisables pour quelque propos que ce soit.

Son second argument vise la question de la causalité entre les deux phénomènes mis en rapport. Stéphanie Lahrtz n’a pas hésité à présenter les deux mesures comme effet d’une cause. Or les chercheurs eux-mêmes préviennent que leur étude ne montre pas de lien causal. C’est une corrélation. S. Aiolfi pose alors les questions de principe d’opportunité et de subsidiarité pour une politique de santé publique aux tenants de l’interdiction.

Je salue cet effort d’un journaliste de la NZZ de tenter d’élever le débat de manière plus intelligente que le premier article de propagande publié auparavant…

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