Tabac & dictature: Nouveau dérapage totalitaire de l’OMS


« Aujourd’hui, je suis honoré d’annoncer que le Président Mugabe, du Zimbabwe, a accepté de servir d’ambassadeur de bonne volonté sur les maladies non transmissibles ». L’annonce du Dr Tedros, directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), était ahurissante. Jeudi à sa Conférence mondiale sur les maladies non transmissibles (NCD) de Montevideo (Uruguay), l’OMS a franchi un nouveau pallier dans le cynisme en promouvant le sanguinaire dictateur Robert Mugabe « ambassadeur de bonne volonté ». Face au tollé, le Dr Tedros a officiellement annulé cette nomination ce dimanche. Dans la foulée, le verbatim du discours à Montevideo du Dr Tedros a été expurgé du passage compromettant (cité avant). Cette nomination avortée est le dernier épisode d’une suite de soutien, prise de position et appel à la répression de la population allant crescendo de la part de l’OMS. Jusque-là, dans un silence complice des organisations non gouvernementales et des dirigeants des pays démocratiques.

Précédemment…

Il y a un an, Vera daCosta, secrétaire générale du bureau anti-tabac (FCTC) de l’OMS, adresse ses « félicitations » au Président Rodrigo Duterte en plein massacre de sa population aux Philippines. A l’époque, la presse évalue à près de 4’000 exécutions sommaires la grande chasse aux drogués lancée par Rodrigo Duterte, lui-même accro à divers stupéfiants. Depuis les tueries par les milices et la police n’ont pas faibli, et le bilan dépasse les dizaines de milliers de meurtres. Sous la pression de l’OMS, la Ministre de la santé philippine tente d’assimiler le vapotage au tabagisme à l’aide d’une nouvelle technologie de senseurs de nicotine.

En janvier 2015, la même Vera daCosta avait déjà félicité et exprimé « toute sa gratitude » à la nouvelle junte militaire en Thaïlande. Profitant de la loi martiale depuis leur coup d’état au mois de mai précédent, les militaires viennent alors de décréter l’interdiction d’utiliser le vapotage, au prétexte de fraude d’importation pouvant valoir des peines jusqu’à dix ans de prison. Les arrestations sont relatées régulièrement dans les médias locaux, y compris de touristes vapoteurs depuis quelques mois. Dans un pays où le tabagisme touche officiellement 42% de la population, la priorité est étrange.

L’OMS appelle à la criminalisation des vapoteurs

C’est pourtant l’un des modèles donnés en exemple à suivre, avec le régime totalitaire de la Corée du Nord, par les cadres asiatiques de l’OMS dans une revue scientifique indienne le mois passé. « Les pays de la région du Sud-Est asiatique doivent prendre des mesures réglementaires pour interdire totalement la production, l’importation, la distribution, la présentation, la vente et l’usage des appareils électroniques de délivrance de nicotine (ENDS) ou sans nicotine (ENNDS) de manière approprié à leur droit national », ordonne la Dr Jagdish Kaur, cadre de l’OMS FCTC Asie, dans l’Indian Journal of Public Health. L’OMS a sans sourciller franchi le rubicon passant de recommandations de santé à celles de réprimer les populations qui optent pour un outil de réduction des méfaits au tabagisme. Des parlementaires de Singapour ont entendu l’appel à la guerre au vapotage de l’OMS et ont déposé un projet de loi pour criminaliser les usagers. 


L’organisation en avril 2016 d’un Sommet de l’OMS au Turkménistan, à l’ombre de la statue équestre en or du dictateur « stalinien » local Gurbanguly Berdymukhamedov en serait presque anecdotique. Depuis, celui qui se fait nommé « le protecteur » utilise les lois anti-tabac pour censurer la presse selon l’ONG Open Democracy. La presse, l’OMS préfère aussi ne pas la voir. A la grande conférence anti-tabac à New Delhi en novembre 2016 (CoP7 FCTC), journalistes et public ont été évacués et les ONG non affiliées à des intérêts industriels, notamment pharmaceutiques, se sont vu refuser toute accréditation. Un climat d’opacité entretenu par le secrétariat du bureau anti-tabac de l’OMS qui a profité aux intrigues de palais et aux noyautages par les lobbyistes, notamment de Philip Morris, comme le relate une enquête de Reuters.

La dictature durable préserve t-elle la santé?

Cette dérive totalitaire n’avait provoqué jusque-là aucune protestation de VIP. Quelques défenseurs des droits humains, dont ceux pour le droit à la réduction des méfaits, ont crié dans le vide. C’est dans ce contexte de silence complice qu’intervient le dernier épisode de la fin de la semaine dernière. Le Dr Tedros a cru de bon ton de nommer le dictateur Robert Mugabe au titre d’ambassadeur de l’OMS pour les maladies non transmissibles, dont le tabagisme est une des principales causes. Régnant sur le Zimbabwe dont son régime a dévasté le système de santé, le dictateur incontinent est contraint d’aller à Singapour pour être soigné.

Au pouvoir depuis 1980 au Zimbabwe, Robert Mugabe use de tous les moyens pour s’y maintenir. Fraudes électorales, tortures d’opposants, contrôle serré des organisations non gouvernementales (ONG) et répression de la presse, famines organisées et déportations forcées des populations contestatrices, le régime sanguinaire du dictateur de 93 ans tient sous son joug la population de ce pays au sud de l’Afrique. Depuis 37 ans, cette « dictature durable » a mis un point une structure pour perdurer. « Le Zimbabwe actuel représente l’archétype de la dictature durable: réélu par une combinaison de violence et de fraude en 2008, un autocrate vieillissant maintient un régime oppressif, antidémocratique et kleptocratique aux dépens d’une population à bout de souffle », analysent Marc-André Lagrange, spécialiste de l’urgence humanitaire, et Thierry Vircoulon, expert en gouvernance, dans un article (dont je recommande fortement la lecture) pour la revue Politique étrangère en 2008. 

Torture et tabac garants de bonne volonté pour l’OMS

« Trois dirigeants africains, à la tête de leurs Etats depuis plus de trente ans, ont amendé la constitution nationale pour rester au pouvoir: Teodoro Obiang Ngema Mbasogo en Guinée équatoriale, Yoweri Museveni en Ouganda et Robert Mugabe au Zimbabwe », précise le rapport Mondial 2017 de Human Rights Watch. L’organisation tire la sonnette d’alarme de longue date concernant les violations incessantes des droits humains au Zimbabwe. En 2008, son rapport attirait l’attention sur l’explosion de « violences parrainées par l’Etat » au Zimbabwe. En 2009, Human Rights Watch braquait son projecteur sur la situation des centaines de milliers de réfugiés fuyant le Zimbabwe dans un rapport intitulé Neighbors in need – Voisins dans le besoin. 

La situation politique et sociale ne s’est pas amélioré ces dix dernières années. Au contraire, la situation économique désastreuse ravage le pays avec neuf personnes sur dix au chômage. Une hyperinflation galopante au début des années 2000′ a laissé l’économie du pays en état de coma. Pour survivre, plus de 80’000 familles paysannes se tournent vers la culture du tabac. Le Zimbabwe est ainsi devenu une des grandes nations exportatrices de tabac brut, derrière le Brésil et devant l’Inde en terme de bénéfice dans la balance commerciale. Plus de 150’000 tonnes de tabac exportées lui ont rapporté, selon l’International Trade Center, plus de 870 millions de $ en 2016.

L’OMS et la haine de la protection de la santé du public

Difficile de croire que le Dr Tedros n’était pas au courant du profil de celui qui a été ambassadeur de « bonne volonté » de l’OMS quelques jours. En plus de l’autoritarisme violent, être lié d’intérêt avec la production de tabac brut semble presque devenu un critère pour influer sur les recommandations de l’OMS. Vera daCosta, brésilienne à la tête du bureau anti-tabac, l’influence de l’Inde lors de la dernière convention sur son territoire, la Thaïlande prise en exemple à suivre… L’arrivée du Zimbabwe dans le domaine lié des maladies non-transmissibles pourrait presque passer pour logique dans ce monde orwellien qu’est devenu l’OMS. Les violations brutales des droits humains écrasés au nom d’un culte d’une bonne santé réduite à l’abstinence et l’obéissance à l’ordre paraissent acquises dans la matrice de l’organisme onusien.

Harry Shapiro rappelle cette semaine que, dans les années 1990′, l’OMS interdisait déjà à ces collaborateurs de participer à un sommet sur la réduction des méfaits face à l’épidémie de Sida. L’International Harm Reduction Association proposait alors l’accès facilité aux seringues propres et aux préservatifs pour endiguer la diffusion du virus. Une position alors inacceptable pour l’OMS
dans le culte d’un « monde sans drogue ». Un quart de siècle plus tard, le slogan d’un « monde sans tabac » est repris par l’OMS avec la même stupidité aveugle et abjecte que les grenouilleries puritaines d’il y a trente ans. 


Les réactions à la nomination sans nom de Mugabe laissent-elles l’espoir d’une remise en question plus profonde de la tentation totalitaire et des dérives sanglantes de l’Organisation Mondiale de la Santé ? L’OMS est-elle capable d’accepter de collaborer avec les principaux concernés de ces actions, à savoir le public dont les usagers de moyens de réduction des méfaits, plutôt que de chercher à leur nuire? A un an de la Conférence COP8 à Genève, la demande devient incontournable.

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