Une méta-analyse sur la vape et les ados décortique la nullité des études sur « l’effet passerelle »

De quoi s’arracher les cheveux. L’extrême majorité des études sur le lien entre vapotage et le risque d’un tabagisme ultérieur chez les adolescents est de qualité exécrable. « Les preuves actuelles de l’ampleur de l’effet de passerelle ne sont pas concluantes », résument sobrement les chercheurs de l’Université du Queensland (Australie). Leur méta-analyse a été publiée dans la revue Addiction. L’équipe menée par le Dr Gary Chan montre notamment des lacunes critiques de prise en compte de facteurs clefs dans le tabagisme adolescent et de sérieux biais d’attrition dans plusieurs suivis.

Globalement les études analysées ont une valeur E d’indice de confiance de 1.92. L’indice montre leur très faible robustesse à un facteur confondant qui n’aurait pas été pris en compte. Or la plupart des études ont omis de nombreux facteurs clefs connus au tabagisme adolescent. Les chercheurs soulignent également un fort risque biais des éditeurs à privilégier les études montrant un effet de passerelle sensationnel, même lorsqu’elles portent sur des échantillons minuscules et sont de qualité médiocre.

Une méta-analyse enfin rigoureuse

De précédentes méta-analyses des études sur les liens entre vapotage et tabagisme chez les jeunes ont été menées avec certains des auteurs des études évaluées. C’est par exemple le cas de la méta-analyse publiée par JAMA Pediatric en 2017 où trois des cinq auteurs sont aussi auteurs d’études évaluées par leur propre méta-analyse. Le même conflit d’intérêts a été reproduit dans le chapitre dédié à cette question du rapport de la National Academy of Science américaine (NASEM) de janvier 2018, qui reprend d’ailleurs largement la méta-analyse publiée par le JAMA Pediatric.

La publication, en juillet 2020 sur le site de la revue Addiction, de la méta-analyse menée par une équipe de l’Université du Queensland (Australie) était donc bienvenue pour avoir une analyse indépendante dénuée de conflit d’intérêts et sérieusement menée. Pourtant, ses résultats ont été passés sous silence par les réseaux prédominants sur le sujet. Et pour cause, elle invalide la qualité des études les plus citées pour affirmer le soi-disant effet passerelle.

Dix études sur onze avec des risques de biais graves ou critiques

Derrière un résumé à la tournure diplomatique, le contenu en détail de la méta-analyse publiée dans la revue Addiction passe au hachoir les soi-disant « preuves » que le vapotage causerait le tabagisme des adolescents. Sur les 11 études auscultées, les chercheurs évaluent « qu’une étude présente un risque modéré de biais, cinq ont un risque grave et cinq comportent un niveau critique de biais ».

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Les études ont été évaluées à différents risques de biais sur huit aspects :

  • Biais de facteurs confondant, c’est-à-dire des caractéristiques des participants pouvant avoir un effet sur le risque de tabagisme des adolescents
  • Biais de sélection des participants, des groupes sociaux sont plus susceptibles de devenir fumeurs que d’autres, il faut donc tenir compte du biais possible selon la population prise en compte dans l’évaluation des risques
  • Biais de classification à l’exposition, ceci pose la question sur les critères utilisés pour catégoriser les participants
  • Biais de déviation à l’exposition
  • Biais des données manquantes et notamment du biais d’attrition lorsque des participants quittent le suivi
  • Biais des mesures des résultats
  • Biais de sélection des résultats publiés
  • Biais général

Seules deux études ont pris en compte le facteur du tabagisme parental et des amis

« L’Académie des Science et Médecine US (NASEM) a déclaré que “dans toutes les études, un large éventail de covariables a été ajusté, couvrant un certain nombre de facteurs sociodémographiques, interpersonnels, environnementaux et intrapersonnels, y compris la consommation d’autres substances, ce que le comité a considéré comme une sélection complète de facteurs de confusion” (p. 533). Cependant, notre analyse démontre que ce n’était pas le cas ».

Les chercheurs du Queensland ont évalué plusieurs critères pour évaluer la qualité des études. En premier lieu vu son importance, l’analyse de la prise en compte des facteurs confondant dans les estimations de ratio de risques. Et les résultats sont effrayants. Les lacunes de prises en compte de facteur confondant sont catastrophiques dans la plupart des études, notamment nord-américaines.

« Seulement deux des onze études ont été ajustées pour au moins la moitié des principaux facteurs de confusion. Bien que le tabagisme familial et des pairs sont des déterminants clefs du tabagisme, seules les études n° 5 et n° 6 ont été ajustées pour l’influence de la famille et des pairs respectivement », souligne l’équipe menée par le Dr Gary Chan. Pour le dire clairement, une telle lacune sur ce sujet disqualifie neuf des onze « études » qui n’auraient pas dû même être publiées avec si peu de professionnalisme.

Confirmation de la faiblesse des études par la valeur E

Les chercheurs du Queensland ont appliqué une analyse par la valeur E médiane aux études. Cette valeur indique la susceptibilité d’une étude à avoir son résultat confondu par un facteur non pris en compte. « La valeur E médiane de confiance était de 1.92. Cela indique que si une variable confondante omise avait un rapport de risque de 1.92 pour le vapotage et le tabagisme ultérieur, l’association entre vapotage et tabagisme deviendrait statistiquement non significative dans la moitié des études ».

Seule étude avoir un niveau modéré de risque de biais, en ayant pris en compte cinq facteurs clefs du tabagisme adolescent et avec une attrition limitée, l’étude de Leventhal et al. de 2015 a cependant une valeur E d’indice de confiance de seulement 1.43. Cela signifie que si un facteur confondant omis par l’étude a un ratio de risque supérieur à 1.43, l’effet passerelle affirmé par l’étude serait statistiquement non significatif.

Une autre lacune : le biais d’attrition

Le biais d’attrition concerne le nombre de personnes ayant quitté le suivi en cours d’étude et la manière dont les auteurs ont tenu compte de ces personnes perdues de vue. Quatre études ont une attrition de plus de 40 % des jeunes suivis et seules trois recherches en comptent moins de 20 %. Les échantillons de personnes restantes avaient des caractéristiques sociodémographiques et de facteurs de risques très différents que les perdus de vue. Seules trois études ont tenté d’évaluer le biais d’attrition, dont une a simplement attribué le statut de fumeur à tous les perdus de vue.

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Biais par les éditeurs de revue scientifique

« Outre les biais potentiels au sein des études, notre analyse a également mis en évidence un fort risque de biais de publication », soulignent les chercheurs. « Les résultats de la méta-régression indiquent que les études portant sur de petits échantillons (OR = 6,68) ont rapporté une taille d’effet significativement plus importante que les études portant sur un grand échantillon (OR = 2,49) », poursuivent les auteurs, « Cela indique un biais de publication, les petites études qui ont rapporté des résultats nuls ou de petits effets n’ont pas été publiés ».

Des études (enfin) sérieuses sont nécessaires

Pour l’équipe menée par le Pr Gary Chan, l’importance du sujet mérite qu’il soit traité beaucoup plus sérieusement. « La politique en matière de tabac doit soigneusement équilibrer les intérêts et protéger la santé à la fois des fumeurs et des jeunes qui ne fument pas. Gonfler les effets du vapotage en tant qu’aide à l’arrêt du tabac ou son effet passerelle échouerait à atteindre cet objectif », alertent les chercheurs.

« Compte tenu des limites des études existantes que nous avons identifiées, l’estimation précise de l’effet causal du vapotage sur le tabagisme ultérieur chez l’adolescent nécessite des études longitudinales mieux conçues, incluant des échantillons représentatifs, de faibles taux d’attrition et un ajustement complet des facteurs de confusion. Une période de suivi plus longue serait également bénéfique pour évaluer les résultats à plus long terme, tels que le tabagisme persistant, plutôt que l’expérimentation. »

Le SCHEER incapable de tenir compte de ce travail

« Bien que les preuves actuelles de l’ampleur de l’effet de passerelle ne sont pas concluantes, les preuves sont insuffisantes pour écarter complètement l’existence de cet effet », soulignent les auteurs.

Le bilan sur la mauvaise qualité des études est cinglant. Pourtant, cela n’a pas empêché le Comité scientifique de la Commission européenne SCHEER de les prendre pour référence dans son rapport sur le vapotage en préambule de la révision de la directive TPD. Après la révision de sa version préliminaire, le SCHEER a intégré la référence à cette méta-analyse de l’Université du Queensland dans son rapport final, mais sans véritablement en prendre la mesure. Le commentaire du SCHEER donne l’impression qu’il n’en a lu que l’abstract.

Malgré l’avertissement des auteurs de l’Université de Queensland, l’analyse scientifique du comité de la Commission européenne a échoué à évaluer de manière sérieuse le sujet. Cette incompétence, engendrée par un manque de rigueur, de la fainéantise et d’énormes biais idéologiques, risque fortement de produire une politique défaillante à protéger la population dans l’Union européenne.

Référence : Chan, G. C. K.Stjepanović, D.Lim, C.Sun, T.Shanmuga Anandan, A.Connor, J. P.Gartner, C.Hall, W. D., and Leung, J. (2021Gateway or common liability? A systematic review and meta-analysis of studies of adolescent e-cigarette use and future smoking initiationAddiction116743– 756https://doi.org/10.1111/add.15246.

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