Une enquête trace le panorama de l’aide à l’arrêt tabagique dans les vapeshops Suisses

Une recherche sur l'aide à l'arrêt tabagique en pratique dans les magasins de vape en Suisse

Comment conseillent-ils les fumeurs qui viennent dans leurs magasins ? Alors que la vape est devenue l’aide la plus utilisée pour arrêter de fumer en Suisse, aucune recherche ne s’était encore penchée sur le rôle et la pratique des vapeshops pour accompagner les fumeurs vers l’arrêt de la cigarette. Publiée cette semaine en open-access dans l’International Journal of Environnement Public Health (IJERPH), une première étude défriche le sujet. L’équipe pluridisciplinaire menée par Sandra Joss, de l’Institut de premier recours de l’Université de Berne (BIHAM), a envoyé un questionnaire à 130 vapeshops suisses dénichés en Suisse alémanique et en Romandie, laissant de côté le Tessin italophone.

Disclaimer: comme membre de l’association Sovape, j’ai participé à l’équipe de recherche pour y intégrer le point de vue d’un usager et défenseur des droits à la réduction des risques.

L’absence d’aide en Suisse

En Suisse, le tabagisme est maintenu à près de 27 % de la population sans évolution depuis 2007. En 2018, le Tribunal administratif fédéral (TAF) a abrogé la prohibition, jugée abusive, de la vente de e-liquides avec nicotine en Suisse. Cette levée a ouvert plus largement le champ à l’arrêt tabagique à l’aide de la vape, dans un pays où les substituts nicotiniques sont excessivement chers (plus de 100 fs la boite de 14 patchs) et non remboursés par l’assurance maladie obligatoire.

Entre 1991 et 2011, le coût prohibitif des aides à l’arrêt tabagique a participé à l’explosion des inégalités sociales de chance d’arrêt tabagique. L’avantage des personnes de niveau éducatif supérieur par rapport aux plus faibles est passé de 30 % en 1991 à près de 200 % en 2011, selon le suivi Salpadia [i.e. les personnes de niveau supérieur ont 2,94 fois plus de chance de réussir leur arrêt que les personnes de niveau faible en Suisse en 2011].

La vape, une aide malgré l’hostilité du pouvoir

Dans ce contexte désolé, la vape est apparue comme un outil d’arrêt tabagique bon marché, facile d’accès et, qui plus est, plaisant. Honnie par le milieu anti-tabac traditionaliste suisse, l’aide à l’arrêt tabagique avec la vape s’est développée par l’entraide entre pairs usagers, des centres d’addictologues et principalement, hors champ médical, par le conseil des magasins de vape.

« En Suisse, nous savons peu de choses sur les conseils donnés par les boutiques de vape, ni sur les effets de ces conseils sur le comportement des clients qui veulent arrêter de fumer des cigarettes », constate l’équipe de recherche, incluant le Dr Reto Auer qui mène depuis 2018 l’étude clinique ESTxENDS sur l’efficacité de la vape pour l’arrêt tabagique.

Cette recherche vise donc à combler en partie le vide de connaissances sur cette nouvelle pratique d’arrêt tabagique. Envoyé à 130 boutiques, le questionnaire a été rempli par 70 vapeshops, à part à peu près égale de Suisse alémanique et de Romandie (52,9 %). Les tenanciers des boutiques sont en grande majorité des hommes (81,5 %) âgés en moyenne de 40 ans. Plus de 80 % d’entre eux déclarent avoir arrêté de fumer à l’aide de la vape, tandis qu’un seul n’a jamais ni fumé ni vapoté. En moyenne, ils travaillent dans la vente de vape depuis un peu plus de quatre ans.

Variété matérielle

Plus de 82 % des répondants déclarent donner des conseils pour arrêter de fumer à leurs clients. L’analyse qualitative des réponses ouvertes fait apparaître trois éléments clefs dans la prise en charge par les vapeshops des fumeurs désirant arrêter de fumer. Le premier est l’importance de trouver la combinaison de l’appareil, niveau de résistance et e-liquide, notamment au niveau du goût et du taux de nicotine pour la personne.

« Le choix de l’appareil a un rôle central dans le conseil, car il va influencer directement les saveurs et la façon dont la nicotine est absorbée. Mais surtout, il va remplacer le “geste du fumeur”, il est donc nécessaire que le dispositif soit attrayant et accepté par le client. Le choix du liquide, de son arôme, est essentiel dans l’arrêt du tabac », explique un participant.

Face au cas d’un fumeur très dépendant présenté dans une « vignette », les recommandations d’appareils sont plutôt diverses. Mod box, vape pen et pod rassemblent chacun 29,4 % des suffrages, tandis que 7,4 % des vapeshops ne font pas de recommandation a priori. Seuls 4,4 % suggèrent une cigalike.

Les 7,4 % à ne pas faire de recommandation a priori semblent privilégier une attitude ouverte permettant d’ajuster les options disponibles aux besoins particuliers du fumeur, variables selon les personnes et qui peuvent parfois être contradictoires (p.ex. avoir un fort besoin de nicotine, mais des bronches se révélant inflammées par des décennies de tabagisme).

« Les recommandations variées peuvent refléter l’évolution rapide du marché, leurs perceptions différentes de l’efficacité de certains dispositifs et leurs évaluations de l’attrait d’un dispositif pour les consommateurs. Quel que soit le dispositif, la plupart des managers recommandent aux fumeurs de commencer par une concentration élevée de nicotine, ce qui correspond aux recommandations des médecins concernant les substituts nicotiniques de pharmacie », commentent les auteurs.

Déterminer le nicotine sweet spot

Le second thème traversant l’enquête est justement la nicotine. « Il faut souligner que la nicotine n’est pas absorbée aussi rapidement lorsqu’elle est vaporisée », note un répondant. « Au départ, la teneur en nicotine ne doit pas être trop faible, afin que vous n’ayez pas envie de fumer tout de suite. Après cela (quand on s’y est habitué) réduire lentement », précise un autre.

Ces commentaires libres font écho à la « vignette » sur un fumeur très dépendant. Face à ce cas, plus de 60 % des vapeshops conseillent en principe de commencer avec l’e-liquide le plus élevé possible en nicotine, tandis que 30,9 % évitent de faire une recommandation et 8,8 % recommandent le taux le plus faible possible.

Cependant, l’interprétation du taux le plus élevé possible semble varier. 37 % proposent un taux de 15 mg/ml ou plus, mais 32 % suggèrent à ce fumeur très dépendant d’essayer de se sevrer avec un e-liquide entre 6 et 14 mg/ml. 3 % des vapeshops lui conseillent même un liquide à moins de 6 mg/ml. 20 % préfèrent faire une recommandation selon l’appareil choisi et 7 % laissent le consommateur déterminer sa préférence.

Aucun ne recommande un liquide sans nicotine à cet hypothétique fumeur s’allumant une cigarette au réveil. Au contraire, 9,4 % recommandent de combiner un substitut nicotinique (patch ou gomme) à la vape pour l’arrêt tabagique.

Le rôle primordial de la nicotine pour l’arrêt tabagique semble avoir été saisi par une majorité des vapeshops suisses. Mais il est troublant qu’une partie non négligeable déclarant recommander en principe le taux le plus élevé possible de nicotine, proposent des e-liquides dosés à moins de 15 mg/ml. Il peut y avoir plusieurs explications à ce décalage. Une recherche de terrain pourrait compléter cette première étude comme le suggèrent les auteurs.

Pour évaluer le besoin en nicotine des fumeurs, une nette majorité des vapeshops les questionnent sur leur histoire tabagique et évaluent les signes de dépendance, avec des questions inspirées du test de Fagerström. « Certains répondants (13,0 %, 6/46) ont déclaré qu’ils laissent les clients essayer différentes concentrations de nicotine dans le vaporisateur au lieu d’évaluer spécifiquement leur degré de dépendance », signalent les chercheuses.

De même, près de 70 % des vapeshops informent toujours (45 %) ou souvent (25 %) des symptômes liés à l’arrêt de la cigarette. Ils sont par contre plutôt peu — 15 % toujours et 4 % souvent — à encourager les fumeurs à fixer une date d’arrêt.
Le troisième thème qui parcourt les réponses à l’enquête est l’aide comportementale et le soutien à l’arrêt tabagique. Prévenir et savoir répondre aux « coups » de manque, changer des habitudes liées à la cigarette et astuces motivationnelles font partie de la boîte à outils de vapeshops. « En cas de rechute, si la personne fume encore, nous l’encourageons à revenir pour discuter et la remotiver », précise un participant.

76,5 % des vapeshops reçoivent des fumeurs envoyés par leurs médecins

Plus des trois quarts (76,5 %) des magasins de vape disent avoir des clients envoyés par leurs médecins en vue d’être aidés à arrêter de fumer. Un indice que bon nombre de médecins de terrain ont saisi l’intérêt de l’arrêt tabagique avec la vape. En sens inverse, la moitié des magasins recommandent aux fumeurs se sevrant de faire une visite à leur médecin.

Face à deux cas présentés en « vignettes » de problématiques médicales, les vapeshops se montrent en large majorité compétents. « La plupart des répondants (78,4 %, 51/65) diraient à un fumeur avec des antécédents de maladie coronarienne que les vaporisateurs ne sont pas sans risque, mais sont meilleurs que les cigarettes conventionnelles après une crise cardiaque », soulignent les chercheurs.

Face à la description d’un cas d’asthme déclenché par intolérance au e-liquide, les vapeshops sont 39,4 % à identifier le problème et 22,7 % à recommander à la personne une visite chez son médecin. « Plus d’un tiers (37,9 %, 25/66) n’ont pas répondu de manière adéquate : 15,2 % (10/66) ont déclaré que les symptômes étaient causés par la concentration élevée en nicotine et 12,1 % (8/66) ont dit qu’ils étaient causés par le propylène glycol », précise l’étude.

Concernant l’estimation des risques des différents produits, l’ensemble des vapeshops identifient la cigarette comme le produit le plus risqué, tandis que les substituts nicotiniques et la vape sont jugés beaucoup moins risqués. « En moyenne, les répondants classent les substituts nicotiniques de pharmacie comme légèrement plus nocifs que le vapotage », constate l’étude. Ce qui n’est pas forcément faux si on intègre à l’estimation du risque du produit les chances d’arrêter de fumer, du double avec la vape par rapport aux substituts, en contraste d’une évaluation de la consommation isolée de substituts ou de vape.

Un très faible taux de formation spécialisée

Parmi les répondants, seuls 10,6 % déclarent avoir suivi un cours sur l’arrêt tabagique à l’aide de la vape, qui sont probablement les participants à la journée de formation délivrée par Jacques Le Houezec en 2017. Cependant, 78,8 % se disent intéressés à participer à un tel cours. Une formation pourrait notamment pallier certaines lacunes médicales, préciser l’information sur le rôle de la nicotine et enrichir le bagage d’accompagnement des vapeshops, qui sont laissés à eux-mêmes actuellement en Suisse.

« Le mieux serait que les employés des boutiques de vape suivent une formation standardisée avant de conseiller les clients. Cette formation standardisée pourrait, par exemple, être développée par la communauté de la vape elle-même, en collaboration avec des professionnels de désaccoutumance au tabac. Une certification comme celle qui existe en France pourrait servir de modèle. Cela pourrait aider les professionnels de santé à identifier les boutiques de vape de bon niveau et à y orienter leurs clients pour une assistance et des conseils sur les produits. De tels partenariats sont en place au Royaume-Uni. En retour, les propriétaires de boutiques de vape pourraient éduquer les professionnels de santé sur le vapotage et les préférences des clients en matière de dispositifs de vapotage et d’e-liquides », articulent en forme de proposition les auteurs de l’étude.

Joss, S.; Moser, A.; Jakob, J.; Tal, K.; Etter, J.-F.; Selby, K.; Schoeni, A.; Poirson, P.; Auer, R. Counseling in Vape Shops: A Survey of Vape Shop Managers in Switzerland. Int. J. Environ. Res. Public Health 202118, 10861. https://doi.org/10.3390/ijerph182010861

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