China Tobacco: l’OMS protège-t-elle le plus grand cigarettier au monde?

Pas une seule mention. Publié en juillet, le dernier rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur le tabagisme mondial, tout comme son précédent opus de 2019, ignore China Tobacco. Le rapport financé par Bloomberg nomme Philip Morris, British American Tobacco (BAT), Japan Tobacco ou encore Imperial. Mais le nom du principal cigarettier au monde n’apparait jamais. China Tobacco vend pourtant plus de 2 500 milliards de cigarettes par an, plus à lui seul que les quatre cigarettiers susmentionnés réunis. 

Près de 44 % des cigarettes dans le monde proviennent des usines de China Tobacco. C’est beaucoup, mais tout indique que cela ne suffit pas au cigarettier géant chinois. L’entreprise d’État s’est lancée à la conquête des marchés mondiaux, mettant progressivement la main sur la production de tabac au Brésil et au Zimbabwe d’un côté, et à l’autre bout de la chaîne de valeur, prenant pied hors de Chine par une tactique d’inondation de marchés noirs avec ses cigarettes. La tactique est déjà utilisée massivement en Amérique latine et en voie de déploiement en Europe.

La restructuration de China Tobacco pour se lancer à l’assaut du monde 

Pour en arriver là, China Tobacco est passée par une vaste phase de restructuration débutée en 1998. La phase de concentration a réduit ses marques de cigarettes de plus de 2000 à quelques dizaines. Sa stratégie a été analysée dans une recherche parue dans la revue Global Public Health en 2016. « La restructuration de l’industrie chinoise du tabac depuis le début des années 2000 est considérée par les sources de l’industrie comme une stratégie clé pour que China Tobacco (CNTC) devienne compétitive à l’échelle mondiale », souligne l’étude intitulée « The China national tobacco corporation: from domestic to global dragon? ».

La publication n’a pas déclenché de réaction. Pourtant les faits présentés sont troublants. Le conglomérat cigarettier fournit jusqu’à 11 % des recettes fiscales de l’État chinois. « À l’échelle nationale, le marché a presque atteint la saturation chez les hommes adultes avec une prévalence du tabagisme de 53 % », expliquent les chercheurs menés par Jennifer Fang, spécialiste sur tabac en Asie à l’Université Simon Fraser (SFU) au Canada. En bref, pour croître, China Tobacco doit étendre ses ventes hors de Chine.

La vape chinoise sera-t-elle la prochaine victime de China Tobacco ?

Ces dernières années, l’émergence du vapotage a aussi participé à la stagnation, voire une légère baisse depuis 2015, des ventes de cigarettes de China Tobacco sur son marché intérieur. Le marché de la vape en Chine a été multiplié par huit en cinq ans, passant d’une valeur équivalente à 150 millions $ en 2015 à plus de 1,3 milliard $ en 2020, selon le site d’informations financières Nikkei Asia. En raison des revenus fiscaux du tabac, « les experts s’attendaient depuis longtemps à ce que l’État intervienne dans les opérations commerciales des sociétés privées de cigarettes-électroniques chinoises », explique l’agence Reuters. Le processus est enclenché.

Depuis le 1er juillet, les produits de vapotage sont taxés à plus de 200 %, soit 67 % du prix de vente, au même niveau que les cigarettes. Tandis que les ventes intérieures online de vape sont interdites depuis 2018. Jusqu’ici, les milliers d’entreprises de ventes ou de production de produits de vapotage chinoises sont restées indépendantes de China Tobacco. De manière encore floue pour le moment, cela pourrait changer si les autorités décident de les soumettre à l’Administration nationale des monopoles du tabac (STMA), comme le suggère une annonce du pouvoir central en mars dernier. 

Deux noms pour une seule organisation : la SMTA et China Tobacco

Formellement, l’administration STMA et l’entreprise China Tobacco sont deux entités distinctes. Élément clef lors de la restructuration de l’industrie du tabac, la STMA détermine la politique économique du tabac, notamment en matière de quotas de production, du prix des cigarettes et de la mise en œuvre des mesures de la Convention-cadre anti-tabac de l’OMS. Tandis que China Tobacco devrait ensuite appliquer ces directives. 

Mais dans la réalité, ce sont deux noms pour une seule organisation, explique la vaste enquête (en 7 articles) publiée en juin 2021 de l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), un consortium de journalistes indépendants spécialisés sur le crime organisé et la corruption. 

« De manière confuse, bien que l’Administration nationale des monopoles du tabac (STMA) supervise techniquement China Tobacco (CNTC), il s’agit en fait d’une organisation unique avec la même direction et la même structure. Ils ont même le même site Web » ; « Les deux organes en apparence distincts emploient aussi le même personnel », explique l’enquête de l’OCCRP

Le Go Global de China Tobacco

« L’industrie chinoise du tabac est avantagée par sa taille, sa faible réglementation intérieure et le soutien du gouvernement pour son expansion à l’étranger », avertissaient les auteurs de l’étude publiée en 2016 dans Global Public Health.

Face à la saturation de son marché intérieur, les activités de la firme d’État ont commencé à déborder de ses frontières dans le sillage du plan « Go global » lancé en 2000, puis celui des « nouvelles routes de la soie » (Belt and Road Initiative en anglais) officialisé en 2013 par le président chinois Xi Jinping. « On peut constater que l’industrie a fortement évolué à partir du milieu des années 2000, passant d’une approche essentiellement axée sur le marché intérieur à une approche de plus en plus tournée vers l’extérieur », pointe l’étude dirigée par Jennifer Fang. 

« Il est nécessaire de saisir l’opportunité de la mise en œuvre par le pays de la stratégie “Belt and Road”, de renforcer la confiance, de saisir les opportunités, de sélectionner de bons projets, de faire tout ce qui est possible pour accélérer le rythme du développement à l’échelle mondiale de l’entreprise », déclare en 2015 Ling Chengxing, directeur de China Tobacco, à la revue TobaccoMarket (site chinois).

Mettre la main sur les productions de tabac

Premier axe visé par China Tobacco, s’assurer le contrôle des sources de matières premières en créant des filiales directement dans les grands pays producteurs de tabac, notamment au Brésil et au Zimbabwe. L’enquête de l’OCCRP montre comment la China Brasil Tabacos Exportadora SA (CBT), créée en 2002, a permis de démultiplier les exportations de tabac brésilien vers la Chine. D’un niveau anecdotique avant 2000, la Chine collecte désormais près de 19 % des exportations de tabac du Brésil.

Autre grand producteur de tabac mondial, le Zimbabwe vend près de la moitié de sa production à China Tobacco, à travers sa filiale locale Tian Ze. Les conditions fixées par Tian Ze, incluant non seulement la vente du tabac, mais aussi l’achat d’intrants et des prêts, laissent les cultivateurs de tabac au bord de la misère permanente. On se souvient que sitôt élu directeur général de l’OMS, Tedros avait nommé Robert Mugabe, despote qui a hissé le Zimbabwe à la 2e place mondiale de production de tabac brut, au titre d’Ambassadeur de bonne volonté de l’OMS.

« Tian Ze a été créée en 2005 au Zimbabwe alors que le gouvernement de l’ancien président Robert Mugabe construisait ses relations avec la Chine en réponse aux sanctions occidentales », rappelle l’OCCRP.

Conquérir de nouveaux marchés

Autre axe de China Tobacco : conquérir des marchés. Dans cette démarche, elle a le souci d’optimiser les marges bénéficiaires et d’utiliser des cadres locaux pour réduire les barrières culturelles et linguistiques. Dans ses plans officiels, même si China Tobacco a retiré de l’accès par internet le document en question, la firme cigarettière annonce viser les marchés du Moyen-Orient et d’Asie centrale. Ces pays se situent sur le parcours des nouvelles routes de la soie, n’ont pas été conquis par des multinationales du tabac de manière établie et constituent un important réservoir de fumeurs alléchant pour un cigarettier.

La conquista par inondation

En parallèle de son développement en Asie centrale et au Moyen-Orient, China Tobacco a lancé une offensive sur les marchés plus difficiles à pénétrer de manière légale d’Amérique latine et d’Europe. La tactique consiste à inonder les marchés noirs locaux, en espérant à terme forcer la main des autorités politiques pour autoriser les marques de China Tobacco à la vente. 

La Colombie joue le rôle de marché test de cette tactique. D’après les douanes colombiennes, six des dix marques de cigarettes les plus saisies entre 2015 et 2020 étaient chinoises. Le trafic semble s’intensifier, les saisies en Colombie étaient plus de vingt fois plus nombreuses en 2020 par rapport à quatre ans plus tôt. 
« Et la Colombie n’est plus la seule, d’autres pays d’Amérique latine montrent des tendances similaires. Au Brésil, les saisies ont augmenté de près de 175 % l’année dernière. En 2020, un total de 201 386 paquets ont été saisis, contre 76 122 l’année précédente. Au Mexique, au moins 38 % de la consommation totale de cigarettes illégales du pays (environ 7,2 milliards) provient de Chine, selon Oxford Economics », explique le site Latina-Press. Un quart des cigarettes du marché noir en Équateur sont de China Tobacco, selon une étude de 2021 de l’Université Catholique d’Équateur. Tandis qu’au Venezuela, la cigarette Golden Deer de China Tobacco représente à elle seule 8 % du marché noir.

Un canal par le Panama

Pour inonder les marchés d’Amérique latine, China Tobacco passe par des sociétés-écrans depuis Colòn au Panama. « Un réseau panaméen de sociétés-écrans envoie d’énormes quantités de cigarettes chinoises de la zone franche vers des pays d’Amérique latine où il n’y a pas de marché légal pour elles. Les entreprises ont des liens avec l’énorme compagnie de tabac appartenant à l’État chinois et vendent à des contrebandiers », explique l’OCCRP. 

Depuis Colòn au Panama, les cigarettes traversent les Caraïbes avec des haltes en Jamaïque et à Aruba, afin de masquer leur point d’origine. Pour la Colombie, les cargaisons arrivent au port de Carthagène, avant d’être acheminées à la zone de libre-échange de Bogotá, explique un douanier colombien à l’OCCRP.
Certaines de ces sociétés-écrans apparaissent aussi dans les Panama Papers, mais il semble qu’aucun média n’a traité le sujet sous l’angle des liens avec China Tobacco.

Créer des usines locales

Un point clef de la stratégie de conquête de China Tobacco est d’implanter des usines de cigarettes localement. C’était le cas au Panama, où Overseas Utd, un partenariat entre China Tobacco et une entreprise de Singapour, avait ouvert son usine en 2012. 

« J’espère que l’usine continuera à étendre sa production à l’avenir et rayonner sur l’Amérique centrale et du Sud depuis le Panama », s’enthousiasmait Wang Weihua, chef de la diplomatie chinoise au Panama, en visite à l’usine en 2015. Mais les ventes illégales de cigarettes de l’usine dans les rues du Panama entrainent la fermeture de l’usine par les autorités locales quelques semaines après la visite du diplomate.

L’usine de Parscov : tête de pont de China Tobacco en Europe

Implanter des usines de cigarettes fait aussi partie de la stratégie de China Tobacco en Europe. À Parscov, bourgade de Roumanie, l’usine de la China Tobacco International Europe Company (CTIEC) produit plus de 2 milliards de cigarettes par an, officiellement toutes destinées à l’exportation hors de l’Union Européenne (UE). China Tobacco a investi plus de 40 millions $ dans l’usine depuis 2000, selon l’OCCRP.

« En tant que pionnier dans la mise en œuvre de la stratégie “Go Global” de China Tobacco, China Tobacco International Europe (CTIEC) a une ambition de classe mondiale de s’efforcer de devenir une marque leader mondiale », annonçait le site officiel de la CTIEC à l’époque où il était encore consultable. 

Parmi les marques de cigarettes produites à Parscov, une retient l’attention. Au nom à consonance italienne, les Regina se trouvent déjà abondamment sur les marchés noirs de la botte. Rouge ou bleue, elle est devenue la marque number one des ventes illégales avec la moitié du marché, selon la Guardia di Finanza. 

Les cigarettes pour le marché noir italien, les déchets pour les Libyens

Les reporters de l’OCCRP ont suivi une opération de démantèlement d’une filière, dans laquelle une cadre de l’usine roumaine et des membres de la Camorra, de la marque chinoise à Naples. Un container de cigarettes, partant de l’usine roumaine officiellement à destination de la Libye, était échangé avec un container rempli de déchets peu avant l’embarquement sur un bateau depuis le port de Naples. Les cigarettes pour le marché noir italien, les déchets pour les Libyens. 
Mais des tas d’autres envois de cigarettes depuis l’usine de China Tobacco semblent se perdre dans la nature. Officiellement l’usine roumaine de China Tobacco exporte ses cigarettes vers des pays comme l’Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, l’Irak, la Syrie et la Libye. Sauf que la plupart du temps, aucune cigarette chinoise n’est en vente légalement dans ses pays. 

« Il y a des entreprises internationales qui exportent vers des endroits où le marché final ne semble pas correspondre », reconnaît Luk Joosens, un des rares cadres européens de la lutte anti-tabac traditionnaliste à s’exprimer dans l’enquête de l’OCCRP. Plusieurs des entreprises d’importation à qui China Tobacco vend ses cigarettes sont connues pour avoir été mêlées à de la contrebande de tabac, détaille l’OCCRP.

Pas vu, pas pris

En Roumanie même, les cigarettes Marble et Regina de China Tobacco ont pris un tiers du marché noir depuis 2012. Ces deux marques sont devenues les plus courantes sur un grand nombre de marchés noirs européens. Sans que personne ne thématise le sujet.

« Dans un rapport de 2018 sur la contrebande de tabac en Roumanie, le chapitre sur le CTIEC était presque vide. “Les activités anti-contrebande de la branche roumaine de CTI [China Tobacco International] n’ont pas pu être analysées”, indique le rapport. “L’entreprise n’a pas répondu aux demandes des chercheurs” », explique l’OCCRP.

L’opacité entretenue par China Tobacco est un élément constitutif de sa culture d’entreprise, au-delà du seul cas de sa branche européenne. « Premièrement, en tant que monopole contrôlé par le gouvernement, la CNTC n’est pas tenue de faire rapport en tant que société ouverte (p. ex. rapport annuel aux actionnaires). Les données chinoises sont donc limitées dans leur portée et leur contenu. Deuxièmement, les données officielles chinoises sont contrôlées par le gouvernement et ne sont pas vérifiées par des sources indépendantes. Une grande partie des analyses secondaires, à leur tour, sont basées sur les sources officielles. Troisièmement, nous avons constaté des incohérences dans les données sur les indicateurs clés provenant de différentes sources », soulignaient en 2016 les chercheurs menés par Jennifer Fang.

Que font les « anti-tabac » et l’OMS sur le dossier China Tobacco ?

À la lecture des faits, notamment de l’enquête de terrain de l’OCCRP, qui corroborent les analyses qui l’ont précédées, le silence de l’OMS et des « anti-tabac » liés à Bloomberg à propos de China Tobacco est étonnant. D’autant plus qu’il s’accompagne d’un tapage souvent délirant de ceux-ci sur la vape. Comme si ces organisations cherchaient à détourner l’attention du public, y compris en Europe. À ma connaissance, l’unique média français a avoir mentionné l’enquête majeure de l’OCCRP est la Tribune dans une opinion signée du Pr Nicolas Tenzer. En Suisse, aucun ne l’a fait.

L’OMS aux abonnés absents

 » Étant donné que China Tobacco (CNTC) appartient entièrement à l’État, contrairement à ses concurrents de Big Tobacco, son succès place le gouvernement chinois dans la position bizarre de travailler directement contre ses propres obligations envers la Convention-cadre anti-tabac (CCLAT) de l’OMS. Mais l’argent parle, et China Tobacco est la quatrième entreprise la plus rentable du pays », constate l’OCCRP.

L’indistinction entre la firme cigarettière, China Tobacco, et l’administration sensée la superviser, la SMTA, est une violation évidente de la Convention-cadre pour la lutte anti-tabac (CCLAT) de l’OMS, dont la Chine est membre ayant signé et ratifié la convention. La Chine a également signé le Protocole contre le commerce illicite de produits de tabac. 

Cependant l’OMS a simplement refusé de répondre aux questions des journalistes de l’OCCRP. 

« Il existe une contradiction inhérente entre les engagements pris par la Chine envers la CCLAT pour lutter contre le tabagisme et sa propriété de la plus grande entreprise de tabac au monde. Non seulement les fortunes du gouvernement et de l’entreprise sont soudées, mais elles sont également réunies au niveau politique », remarque l’OCCRP. 

À un questionnaire de l’OMS en 2018 sur l’application de la Convention anti-tabac (CCLAT), concernant l’article 5.3 devant assurer l’indépendance des politiques de l’industrie du tabac, les fonctionnaires chinois ont simplement répondu « non applicable ». Ni l’OMS, ni aucune organisation anti-tabac ne s’est offusquée de ce magistral « Fuck you » d’un inimitable style bureaucratique.

Logique viciée et silence complice à l’OMS

 « Ce manque de considération de la part de la Chine populaire pour la Convention-cadre pour la lutte anti-tabac (CCLAT) est un sujet que les gouvernements occidentaux doivent regarder de près. Il fait partie intégrante de leur lutte contre l’influence chinoise néfaste dans les pays et au sein des organisations internationales et, sans doute aussi, de la lutte contre les pratiques de corruption », alerte le Pr Nicolas Tenzer, spécialiste de politique internationale à Science-Po Paris, dans la Tribune du 13 septembre 2021.

L’article 5.3 de la CCLAT exige des pays membres qu’ils protègent leurs politiques de santé publique contre les « intérêts commerciaux et autres intérêts particuliers de l’industrie du tabac ». Mais lorsque le pays détient totalement ou en partie un cigarettier, comme c’est le cas de la Chine, mais aussi de l’Inde, de la Thaïlande, du Japon et de quatorze autres États membres de la CCLAT ? 

L’OMS fait semblant qu’il n’y a pas de problème et détourne le regard des activités tabagiques de ces pays. Dans le cas de la Chine, cela devient plus énorme qu’un éléphant dans un salon. Les responsables de la SMTA étant aussi ceux du cigarettier China Tobacco, c’est bien directement les dirigeants d’un cigarettier qui participent aux rencontres de la CCLAT, telle que la COP 9 cette semaine (du 8 au 13 novembre).

« En raison de cette contradiction, les gouvernements impliqués opèrent dans un conflit d’intérêts. D’une part, ils se sont engagés à lutter contre l’industrie du tabac, mais d’autre part, ils font partie de l’industrie du tabac et en bénéficient. C’est une question d’éthique, pas de légalité. Il n’est pas illégal de signer une convention qui vous oblige à vous opposer à quelque chose que vous soutenez également, mais c’est contraire à l’éthique », souligne le Pr Daniel Malan, spécialiste en éthique des affaires au Trinity College de Dublin, dans un article pour le South China Morning Post.  « L’option la plus pragmatique », poursuit l’auteur d’un rapport en 2020 sur le sujet pour la Fondation Smoke-Free World (FSFW) qui bénéficie d’un financement du cigarettier Philip Morris, « pourrait être de reconnaître le conflit [d’intérêts] et de s’engager à le gérer. Être transparent sur les conflits et les gérer, plutôt que de les éviter, est une stratégie acceptable en termes de bonne gouvernance. Il permet aux gouvernements, en tant que propriétaires, de prendre des décisions qui n’ont pas à tenir compte des attentes financières à court terme des actionnaires. Il peut potentiellement aider à transformer l’industrie en étant plus innovant, par exemple en mettant l’accent sur les produits à risque réduit tout en mettant en œuvre des politiques et des interventions de lutte antitabac plus traditionnelles ».

Un exemple patent de l’ignorance volontairement cultivée par l’OMS est le rapport sur le tabagisme dans le monde, financé par Bloomberg. China Tobacco n’est mentionné ni dans le rapport 2021, ni dans le précédent en 2019, au contraire des cigarettiers Philip Morris, BAT et Imperial Tobacco. Vinayak Prasad, l’auteur référent du rapport Bloomberg de l’OMS, préfère à chaque édition alerter sur les dangers du vapotage et la nécessité de sévir contre celui-ci. Cette année un bref encart sur le tabagisme en Chine tient lieu de pensum pour faire mine d’avoir traité la question. 

L’omerta de la Bloombosphère sur la Chine

Au vu de la situation et de sa dynamique, le silence de l’OMS a un surprenant parfum de complicité. Au-delà de la seule OMS, China Tobacco est un sujet tabou dans les organisations « anti-tabac » liées à l’oligarque Bloomberg et les médias sous son influence. La loi du silence sur tout sujet gênant pour la Chine dans les entreprises de Bloomberg n’est pas un fait nouveau.

À Bloomberg News, une enquête sur la corruption en Chine était censurée en novembre 2013, ses auteurs virés et l’épouse du principal journaliste harcelée par les gros bras de l’oligarque durant des mois pour lui imposer le silence. L’affaire évoquait-elle les rentrées d’argent faramineuses liées à China Tobacco ? On ne peut pas le savoir, les auteurs ont l’obligation, par un accord de confidentialité (NDA), de taire toute information sur leur enquête.

« J’ai honte de travailler pour Bloomberg à présent », un journaliste anonyme de Bloomberg News à la Columbia Journalism Review en 2014.

« Targetting the European Commission », le rapport qui vise les yeux fermés

Si on ne sait pas ce que l’équipe virée par Bloomberg News comptait publier, on peut savoir que le rapport conjoint de l’European Public Health Alliance (EPHA), le Corporate Europe Observatory (CEO) et STOP sur les activités de lobbyisme des cigarettiers envers la Commission Européenne passe totalement sous silence le contenu de documents qu’elle a obtenu concernant les rencontres entre les lobbyistes de China Tobacco Europe (CTIEC) et la Commission Européenne. Là aussi, derrière quelques paravents, le commanditaire du rapport pour mettre sous pression la Commission Européenne est Bloomberg. 

Pourquoi avoir caché le contenu des documents sur les rencontres entre China Tobacco (CTIEC) et la Commission Européenne ? « Le rapport couvre des centaines de documents [101 en réalité] dont le contenu n’est pas précisé. Les exemples mis en avant servent principalement à indiquer quels types de tactiques de lobbying sont utilisés par l’industrie du tabac », évacue Olivier Hoedeman, coordinateur des recherches au CEO. 
Cependant la tactique particulière de China Tobacco, consistant à obtenir d’implanter une usine dans l’Union européenne en promettant d’exporter sa production, n’est pas présentée. « Tout simplement parce que nous n’étions pas familiers avec cette tactique », répond le spécialiste du lobbying dans l’UE. Est-ce seulement de l’incompétence des chercheurs ? Rien à voir avec le financement du rapport par Bloomberg et ses intérêts économiques avec la Chine ? « C’est une pensée conspirationniste. Je ne peux la prendre au sérieux », clôt le responsable. 

Le rapport que son organisme a cosigné s’appuie sur trois mots d’une lettre – « doivent restés disponibles » – comme unique preuve pour qualifier les entreprises de vape française indépendantes « d’alliés de Big Tobacco ». Mais si on est payé par Bloomberg, alors ça ne peut pas être du conspirationnisme. Tandis que si on l’est un bénévole impliqué dans le droit à la réduction des risques, on reste avec des questions sans réponse.

Michael Bloomberg victime d’un lapsus lors d’un débat aux primaires démocrates

Pour aller plus loin, quelques références :

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