EURACTIV s’interroge sur l’obscur contrat de la Commission pour sa politique antitabac

Euractiv pointe à son tour l'obscur contrat de la Commission européenne avec un consortium pour élaborer sa politique antitabac
Nous en avions déjà discuté en février. L’obscur contrat à trois millions d’euro attribué par la Commission européenne à un consortium a aussi attisé la curiosité d’Euractiv, le média spécialisé dans les affaires européennes. « Un appel d’offres de 3 millions d’euros pour des services de recherche relatifs à la mise en œuvre de la politique antitabac de l’UE a été remporté par son seul soumissionnaire », rapportent Max Griera et Sofia Leeson. « Cependant, certains pensent qu’il est peu probable qu’il n’y ait pas eu d’autres soumissionnaires pour ce type de projet », précisent les deux journalistes. De son côté, la députée européenne Sara Skyttedal, du parti populaire européen (PPE), estime que la participation de l’European Network for Smoking Prevention (ENSP) constitue un conflit d’intérêts. La Commission nie tout problème sans apporter de précision sur les nombreux points obscurs de ce contrat.

Un appel d’offres nébuleux

Euractiv rappelle que l’appel d’offres pour le contrat avait été lancé par « l’Agence exécutive européenne pour la santé et le numérique (HADEA) pour des services de recherche et de conseil en lien avec la mise en œuvre de la politique de lutte contre le tabagisme de l’UE et du plan européen de lutte contre le cancer ». L’attribution du contrat a été publiée par l’HaDEA en janvier. La transparence du processus reste très trouble.

Des bénéficiaires cachés par la Commission

Il est d’autant plus énigmatique qu’un autre problème se pose, sans qu’il est été détecté par les journalistes d’Euractiv. La publication de l’HaDEA ne livre pas tous les noms des bénéficiaires du contrat. L’information avait été dénichée par l’European Tobacco Harm Reduction Advocates (ETHRA) en février. Elle se trouve simplement sur le site d’Open Evidence :  

« Open Evidence dirigera un consortium international qui comprend l’ENSP, l’Université de Crète, ICF, Milieu Consulting, Vital Strategies et SGS », explique le communiqué d’Open Evidence sur son site le 1er février (Archive Internet). 

On peut douter de la légalité de la manière dont la Commission a occulté les noms de quatre entreprises impliquées dans le contrat qu’elle a accordé au consortium. Se pose aussi la question des motifs à cette occultation. 

Un parfum de conflit d’intérêts

Il se pourrait qu’il faille regarder du côté d’éventuels conflits d’intérêts. L’eurodéputée suédoise Sara Skyttedal (PPE) soupçonne un problème de ce type. « Le conflit d’intérêts est ici “assez évident”, estime l’eurodéputée Sara Skyttedal, qui a confié à EURACTIV que l’ENSP pourrait influencer une règlementation plus stricte en matière de nouveaux produits du tabac, empêchant les fumeurs de passer de la cigarette à des produits moins nocifs », explique le média européen.

En effet, la direction de l’ENSP défend une idéologie hostile à toute approche de réduction des risques. Selon le quotidien suédois AftonBladet, l’organisation avait déjà été mêlée en 2003 à la falsification d’un rapport pour la Commission européenne sur le snus afin de soutenir sa prohibition dans l’UE, alors que les auteurs du rapport recommandaient sa légalisation.

Modéliser la politique de lutte contre le tabagisme

De son côté, Cornel Radu-Loghin, secrétaire général de l’ENSP, répond à Euractiv que son organisation à but non lucratif ne présente « aucun intérêt économique dans le secteur du tabac ». Il esquive la question soulevée par Sara Skyttedal d’un conflit d’intérêts idéologique pour mener objectivement la dizaine de taches précisées dans l’appel d’offres. 

Dans la liste des missions du mandat (p. 10 et 15 notamment) figure la « modélisation de la politique de lutte contre le tabagisme ». Cependant, pour Cornel Radu-Loghin, il ne s’agit pas d’élaborer la politique européenne. « L’ENSP, ni aucun autre membre du consortium d’ailleurs, n’est chargé de l’élaboration des politiques », déclare-t-il à Euractiv. Le consortium va donc modéliser, non pas élaborer. Le lecteur peut apprécier la précise délicatesse de la novlangue de la bureaucratie européenne et l’effort de transparence de Cornel Radu-Loghin envers les citoyens à travers sa réponse à Euractiv.

Bloomberg va-t-il décider de la politique européenne ?

Cependant, il n’y a pas que l’ENSP d’impliqué. Les membres cachés du consortium peuvent aussi poser souci. Notamment, Vital Strategies est notoirement une organisation sous le contrôle du milliardaire et politicien Michael Bloomberg. On ne voit pas comment la neutralité partisane, imposé par le code de bonne conduite administrative de la Commission, pourrait être respectée par cette organisation. Sans parler des problèmes des liens d’affaires du politicien milliardaire avec plusieurs États cigarettiers tels que l’Inde, la Chine et la Thaïlande. 

China Tobacco est d’ailleurs directement actif sur le territoire de l’Union européenne avec son usine de Parscov en Roumanie, d’où partent les cigarettes Regina pour inonder les marchés noirs européens, notamment en Italie comme le rapportait l’OCCRP.

Par ailleurs, comme l’avait souligné le Vaping Post, il est douteux que des organisations contrôlées par des intérêts extraeuropéens se concilient avec une souveraineté européenne, que dit défendre la Commission. A fortiori, sur un sujet de politique de santé de première importance qui comporte des enjeux financiers gigantesques. Bref, on est loin du respect des règles de bonne conduite censées régir la Commission.

La Commission se contente d’une déclaration sur l’honneur douteuse

Bloomberg mêle business et philanthropie, ici avec Modi en 2019
Les liens d’affaires de Michael Bloomberg pourraient constituer des liens d’intérêts indirects incompatibles avec le mandat attribué aux bénéficiaires du contrat. Aussi, son rôle de politicien constitue indiscutablement un conflit d’intérêt partisan. Tandis que les liens financiers extraeuropéens de plusieurs membres du consortium posent question sur la protection contre des ingérences étrangères aux intérêts des pays membres de l’Union européenne. Tout ceci nécessiterait au minimum une enquête préalable. Visiblement la Commission n’en a rien fait.

Pourtant, en réponse à Euractiv, la Commission nie tout problème. « Dans le cadre du contrat, a rappelé le responsable [de la Commission], l’ENSP et ses partenaires ont signé une déclaration sur l’honneur ainsi qu’une déclaration supplémentaire d’absence de conflit d’intérêts dans le domaine du tabac et sont tenus de notifier tout conflit d’intérêts qui surviendrait à l’avenir », explique le média. 

La phrase du contrat, concernant cette déclaration sur l’honneur, est ainsi formulée : « Il déclare en outre qu’il n’est pas soumis à des conflits d’intérêts susceptibles d’avoir une incidence négative sur l’exécution du contrat ». Le critère est donc purement l’opinion subjective du contractant sur la valeur des incidences de ses conflits d’intérêts. La déclaration n’engage ni à l’absence de conflit d’intérêts ni à l’absence d’incidence de ceux-ci sur le travail des entreprises contractantes, mais seulement à l’opinion du contractant d’une absence d’incidences que lui-même jugerait négatives. 

Les politiques modélisées hors contrôle démocratique

On l’a compris, l’ENSP juge que son idéologie anti-réduction des risques n’a pas d’incidence négative sur l’exécution du mandat, notamment de modéliser la politique antitabac européenne. Mais est-ce vraiment à l’ENSP de juger de cela ? Dans un régime démocratique, on estimerait probablement que ce serait au peuple ou, au moins, à ses représentants élus de l’évaluer. Et visiblement, la député Sara Skyttedal a un avis différent sur ce point que l’ENSP. En filigrane, le problème du violent déficit de démocratie des instances européennes s’étale à travers le sujet de ce contrat.

Prudent, le responsable de la Commission a gardé l’anonymat devant Euractiv. Il ne précise pas non plus si les entreprises cachées bénéficiaires du contrat ont également fait cette déclaration sur l’honneur. Une déclaration sur l’honneur qui ne protégerait en rien contre des conflits d’intérêts financiers, politiciens et idéologiques de donneurs d’ordre aux entreprises du Consortium. Aura-t-on un jour des réponses sur ce que cachent la Commission et ses mandataires dans cette affaire ?

Références :

 

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