Pr J.F. Etter : «En entravant les produits concurrents, la nouvelle loi risque de défendre la cigarette»

Jusqu’ici, la Suisse est un pays sans loi sur le tabac. Cela va changer. Le Conseil fédéral a présenté, par la voix du ministre de la santé Alain Berset, un projet de Loi sur les produits du tabac (LPTab). Cette proposition, concoctée par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), sera examinée au parlement cette année. La loi qui en ressortira devrait entrer en vigueur d’ici 2019. Dans un effet de style très orwellien, ce projet stipule que les produits sans tabac, comme la « e-cigarette », sont… des produits du tabac. Le Pr Jean-François Etter, tabacologue et Docteur ès sciences politiques, le passe au crible dans la revue Dépendances consacré au vapotage.

La combustion de la santé publique

Avec 25% de fumeurs en Suisse, le tabagisme y entraîne la mort de 9’500 personnes chaque année. Et d’innombrables malades. Responsable majeur de cette «catastrophe de santé publique»: la combustion du tabac. «Heureusement, une série d’innovations du 21ème siècle pourraient faire revenir la mortalité liée au tabac au niveau très bas qui existait avant l’avènement des cigarettes manufacturées», estime le Professeur de l’Institut de Santé Globale (Genève).
En premier lieu le vapotage, mal-nommé cigarette électronique, mais aussi le tabac ‘chauffé-non-brulé’, les vaporisateurs de nicotine à gaz ou à réaction chimique. Ainsi que le snus et d’autres systèmes à développer. Une analyse de Bonnie Herzog du cabinet Wells Fargo estime que les nouveaux systèmes de vaporisation à risques réduits pourraient prendre la moitié des parts de marché aux cigarettes d’ici 2025. L’enjeu sanitaire et économique est donc de taille.

Condamnés à fumer

Selon le Public Health England
Pourtant, par l’interdiction des liquides nicotinés contestée au Tribunal fédéral, les services d’Alain Berset protègent les ventes de tabac et de substituts pharmaceutiques peu attrayants et peu utilisés. De fait, «notre législation condamne actuellement les personnes dépendantes de la nicotine à fumer», déplore le Pr Etter. La nouvelle loi aurait donc un effet positif: la légalisation des liquides nicotinés en Suisse. Mais ce progrès cache un ensemble de mesures régressives contre les moyens de réduction des risques.
Le Pr Etter liste quatre effets retors du projet de loi. La publicité pour les produits à risques réduits serait soumise aux mêmes restrictions que celle du tabac. Aux yeux du genevois, il vaudrait mieux «informer les fumeurs sur ces produits et les encourager à renoncer aux cigarettes combustibles pour passer à des produits plus sûrs». Sans en autoriser pour autant la promotion auprès des non-fumeurs et des jeunes, ni les allégations «santé».
Deuxième effet pervers, la question de la taxation punitive. «Cette approche est justifiée dans le cas des cigarettes combustibles, mais elle est disproportionnée dans le cas des cigarettes électroniques et des autres vaporisateurs», estime t-il. Sans mentionner la motion Zanetti (2011) exemptant la vape des taxes du tabac en raison de sa réduction des risques. Une motion que les parlementaires affidés au lobby pharmaceutique espèrent contourner selon les rumeurs de la salle des pas-perdus.

L’amalgame qui tue

En troisième lieu, le Pr Etter s’interroge sur l’opportunité d’une même interdiction de vapotage que le tabagisme dans les lieux publics. «Il est vrai qu’il est déplaisant d’être exposé aux exhalations des vapoteurs, mais les risques encourus sont sans doute infiniment moindres que dans le cas de l’exposition passive à la fumée», remarque t-il. La contrainte de côtoyer les fumeurs imposerait aux vapoteurs de subir le tabagisme passif. Ainsi que le risque de la tentation et de rechute dans le tabac. «Une telle interdiction est disproportionnée. Mieux vaudrait une réglementation à géométrie variable, adaptée à chaque situation», propose t-il.
Le Pr Etter est l’auteur d’un excellent
livre  »grand public » sur la vape
Enfin quatrième point, mais pas le moins sensible, l’assimilation de la vap
e au tabac ouvre la porte à des ordonnances d’applications imposant des normes excessives. Des restrictions techniques disproportionnées limitant les appareils ou les saveurs réduiraient l’attractivité et l’efficacité de la vape pour sevrer les fumeurs. La crainte du responsable de Stop-tabac s’appuie sur le précédent de l’arbitraire dénué de base scientifique de l’ordonnance actuelle sur le tabac. On peut ajouter à ses craintes l’évident projet des bureaucrates bernois d’implémenter les articles anti-vape de la scélérate directive européenne (TPD) rédigée sous la dictée des lobbys du tabac et de la pharma.

Le débat de santé publique du siècle sera t-il occulté ?

Pour le professeur en sciences politique, il s’agit de rompre avec les principes idéologiques sclérosés pour déclencher un impact majeur en santé publique. En l’état, ce projet de loi «comporte un grand risque de rater cette occasion». «Ce dont nous avons besoin, c’est d’une réglementation proportionnée et d’une politique fondée sur les principes de la réduction des risques», précise t-il. Un enjeu qui fait du statut de la vape «un des plus importants débats de santé publique de ces dernières décennies».
Jusqu’ici totalement galvaudé par la presse.

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