Réponse du Pr Gmel et al. à ma critique: «Quand les lobbyistes de la vape font mauvaise science»

Au hasard d’une recherche google sur tout autre chose, je tombe aujourd’hui sur la réponse des Prs Gerhardt Gmel, Stéphanie Baggio, Meichun Mohler-Kuo etJoseph Studer à ma critique publiée le 11 juillet de leur article de janvier dernier. Le Swiss Medical Weekly, qui ne m’avait pas non plus donné de lien (ni envoyé de version papier) vers la publication de mon commentaire, ne m’a pas informé de cette réponse publiée le 16 juillet. …! J’étais jusque là persuadé qu’il n’y en avait pas eu. Bref.

Pour resituer le déroulé de la petite histoire:
– parution le 11 janvier 2016 de l’article « E-cigarette use in young Swiss men: is vaping an effective way of reducing or quitting smoking? » de l’équipe du Pr G. Gmel dans le Swiss Medical Weekly
– réaction le 19 janvier du Pr Michael Siegel, Université de Boston, sur son blog « Study that Purports to Show Vaping Causes Smoking Initiation and Impedes Cessation is a Complete Sham »
– proposition publique les jours suivants du Swiss Medical Weekly d’ouvrir ses colonnes à un commentaire critique
– parution le 11 juillet 2016, après des échanges tendus et la mise en ligne d’une version en français, de mon commentaire en anglais « When federal science is muffling harm reduction by vaping » par le Swiss medical Weekly
– réponse publiée le 16 juillet (mais que je ne découvre qu’aujourd’hui) des scientifiques suisses à mon commentaire « When vaping lobbyists get science wrong – reply to Poirson »

En voici le résumé avec quelques remarques personnelles.

«Nous protestons vivement d’être décrits par un lobbyiste du vapotage comme des assistants loyaux de la science fédérale officielle qui seraient aveugles idéologiquement aux stratégies de réduction des risques». Les auteurs précisent que leur recherche a été financée par le Fond national Suisse des sciences, organisation indépendante non gouvernementale. «Il n’y a donc pas d’étouffement par la science fédérale», expliquent les chercheurs travaillant, notamment et pèle-mêle, pour l’hôpital de Lausanne, Suisse Addiction, l’Université de Lausanne et l’Institut de prévention et d’épidémiologie biostatistique de Zurich.

«Cela se réfère seulement à NOTRE étude sur les jeunes hommes ». En Suisse.

«En second lieu, nos résultats ne contiennent pas d’erreurs ou de biais méthodologiques, tel que nous le reproche Poirson, et notre conclusion n’est pas non plus «abusive» (alors que le langage utilisé par Poirson l’est)», poursuivent les scientifiques suisses. «Notre conclusion affirme que NOUS [majuscule dans le texte] n’avons trouvé aucun effet bénéfique, et bien entendu cela se réfère seulement à NOTRE étude sur les jeunes hommes», précisent -ils. Suisses, des jeunes hommes en Suisse…

La précision très utile des auteurs ne me semble pas avoir été aussi claire dans la publication initiale. Au point que la Food and Drug Administration (FDA) américaine, ainsi que le Gouvernement autrichien l’ont interprété comme une preuve de l’absence d’effet bénéfique du vapotage à valeur universelle et l’ont utilisé comme telle lors de l’élaboration de réglementations. «Poirson semble confondre biais de sélection et généralisation à une plus large population. Alors que notre étude est restreinte aux seuls jeunes hommes», insistent les scientifiques. Bien. Il serait donc important de communiquer sur le focus réduit de cette recherche, non seulement au «lobbyiste» bénévole (et non pluriel aussi) que je suis, mais également au Pr Stanton Glantz qui la promeut visiblement avec une portée bien plus grande pour influencer des décideurs politiques. Avec beaucoup plus de succès que moi-même.

Le Pr Glantz qui justement est référencé par les auteurs pour deux études confirmant leurs dires sur cette absence d’effet du vapotage contre le tabagisme. Deux études controversées par leur méthodologie, puisqu’elles écartent a priori les vapoteurs s’étant sevrés du tabagisme pour conclure que le vapotage n’aide pas au sevrage tabagique. (Ce que n’a pas fait l’étude du Pr Gmel et al.)

Les auteurs reconnaissent que deux autres études longitudinales, analysées par l’Institut Cochrane, ont conclut à des effets positifs. Pour autant ils estiment que la science peut produire des conclusions divergentes. Le point ici dans mon argumentation, peut-être pas exprimé assez clairement, était que ces divergences sont le fruit des différences d’environnement, notamment législatif. A savoir qu’en Suisse les liquides nicotinés sont prohibés à la vente localement. Ce point est abordé par les auteurs en fin d’article. Ils m’expliquent alors que l’on peut commander par internet des liquides nicotinés [merci!], et en trouver en Suisse par des astuces de contournement de l’interdiction de vente [merci de nouveau!].

«Nous sommes d’accord que cette régulation de la vente peut limiter l’usage des e-liquides avec nicotine en Suisse»

«Néanmoins, nous sommes d’accord que cette régulation de la vente peut limiter l’usage des e-liquides avec nicotine en Suisse. Les données du monitorage d’Addiction Suisse montraient qu’en 2013, seulement 29,7% des possesseurs d’e-cigarette utilisaient du liquide nicotiné. Mais la prévalence des utilisateurs de liquide nicotiné à augmenté depuis lors», expliquent les chercheurs. Selon le document mis en référence par les auteurs, ce taux d’usage de nicotine est monté en 2015 à 34,2% des vapoteurs sondés. Mais l’échantillon est si faible en nombre que le rapport d’Addiction Suisse recommande la prudence sur son interprétation.

Mesurer le statut de vapotage des participants au départ n’aurait rien changé

Au niveau méthodologique, les auteurs réaffirment que leur étude est longitudinale. Bien qu’il n’y ait pas eu de mesure de l’usage du vapotage au premier pointage, mais seulement, dans un second temps, lors du suivi. «Nous n’avons pas tenté de cacher que le statut de vapotage n’était pas mesuré au départ. Ceci est mentionné plusieurs fois dans notre article. Cependant, ceci ne fait pas de notre étude une simple étude transversale», expliquent le Pr Gmel et al. La nature longitudinale de l’étude serait assurée par le suivi du statut tabagique des jeunes hommes suisses. «En outre, nous ne pensons pas que la mesure du statut de vapotage au départ aurait changé nos résultats, alors que la plupart des participants étaient probablement non-vapoteurs au départ», avancent-ils.

L’augmentation exponentielle du vapotage mesurée par Addiction Suisse autorise les chercheurs à supposer que la plupart des participants ont commencé de vapoter au cours du suivi. «Nous reconnaissons, toutefois, que ce n’est pas une conception optimale. Néanmoins, nous ne voyons pas comment notre constatation peut être interprétée autrement que le vapotage n’a eu aucun effet bénéfique sur le tabagisme classique dans la population des jeunes hommes dans son ensemble», persévèrent les chercheurs. Peut-être une autre interprétation serait que des données aussi faibles ne peuvent pas sérieusement autoriser quelconque interprétation se présentant comme définitive sur le sujet?

Par ailleurs, les auteurs font une chose assez étrange: me faire porter la charge de leur flou sur la portée de leur étude. C’est pourtant en raison de leur affirmation qui semblait vouloir être universelle que j’ai présenté des études montrant d’autres résultats dans des situations différentes. Les présupposés qu’ils m’attribuent ne sont pas miens, ils ne découlent que de leur manque de précision initiale (dont je ne suis pas la seule victime comme précisé au-dessus). Donc je passe sur ces éléments peu pertinents. Tout en notant que ce flou est levé par cette réponse à mon commentaire.

30 vapoteurs réguliers sur les 249 qualifiés de vapoteurs

Un point plus intéressant est le fait que l’article masquait que 88% des jeunes pris en compte n’ont fait qu’expérimenter le vapotage, et seuls 12% vapotaient quotidiennement. «Pourquoi devrions-nous concentrer nos conclusions sur la minorité d’utilisateurs quotidiens?», demandent-ils. La réponse est assez simple. Parce qu’il n’y a aucun sens à estimer que quelqu’un ayant pris une bouffée de vapote durant l’annéeest un vapoteur. J’ai couruavant-hier pour attraper le bus. Ca ne fait pas de moi un coureur de fond. Et évaluer l’impact de cette pratique en m’assimilant aux sportifs n’a aucun sens. 

A l’origine du problème, il y a des lacunes dans le questionnaire. Mais je ne suis pas responsable de ces lacunes qui rendent douteux de vouloir en tirer une conclusion. Je maintiens qu’à la rigueur « il aurait été plus judicieux de dire que pour l’extrême majorité des répondants continuer de fumer en ne vapotant qu’occasionnellement n’est pas bénéfique pour la cessation tabagique ».

Les auteurs relèvent aussi que les rares vapoteurs réguliers de la cohorte ne montrent pas un taux de sevrage plus important. Je n’ai pas dit le contraire. On ne peut simplement pas sérieusement tirer des conclusions sur la base de 30 jeunes (sur les 5081 participants de la cohorte C-SURF). Même s’il y a des finances «non fédérales» du Fonds nationalà décrocher, il faut savoir parfois ne pas broder sur quasiment rien. 

Le gouvernement Suisse a décidé de protéger le tabagisme en condamnant ses citoyens fumeurs à ne pas avoir accès localement de manière légale aux liquides nicotinés. Ceci fait que le nombre de vapoteurs dans ce pays est «marginal» pour citer la Ligue Pulmonaire Suisse qui s’en réjouissait cet été. Il n’y a pas d’effet contre le tabagisme par levapotage en Suisse parce que les cigarettiers sont protégés de la concurrence de la vape par l’administration et une large désinformation. C’est un fait incontournable pour toute évaluation du vapotage en Suisse dans l’état actuel des choses. Or l’étude n’en dit pas un mot.

Où est mon chèque?

Ma conclusion évoquait qu’à un moment donné, la question en épidémiologie des dépendances n’a plus été «est-ce que les substituts aident?» mais «dans quelles conditions ces substituts aident le mieux?» Les auteurs déclarent ne pas saisir ce point car le vapotage est un produit de consommation courante contrairement aux substituts. Je pense que je dois leur accorder le point. Ma comparaison historique trouve là une limite forte. 

Ils proclament soutenir l’aide des fumeurs par les substituts nicotiniques tels que patchs ou gommes. «Nous sommes cependant, clairement en faveur des substituts nicotiniques prescrits, les coûts étant même couverts par l’assurance-maladie en Suisse. Une telle substitutionà lanicotine pourrait également inclure des liquides nicotinés», précisent-ils. Précisons aussi que les gommes nicotinées, que je consomme régulièrement d’ailleurs, sont en accès libre en pharmacie* et pas seulement sur prescription.

Notons pour finir sur une autre note positive que les auteurs déclarent être conscients de lacunes de leur première recherche et avoir affiné les questionnaires du second suivi lancé l’été dernier par C-SURF. Alors… peut-être pas si inutiles les remarques agaçantesd‘un«vaping lobbyiste»? 
[Mais bordel, où est-ce que j’ai mis le chèque de Big Vapote?]


*edité le 30-10-2016 à 14h pour être plus précis. Auparavant « en vente libre »

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