Le Monde « révèle » un grand complot de vapoteurs en carton mais masque les conflits d’intérêts de ses journalistes

Avertissement : J’ai fait ce billet pour répondre à quelques messages inquiets. Mais si vous n’avez pas lu l’article du Monde en question, je vous suggère de ne pas perdre votre temps à le lire ni ce billet. Passez du bon temps.

À travers un article réservé à ses abonnés publié le 3 novembre, le Monde tente de les persuader que les associations de défense des vapoteurs sont « une blague » masquant de « fausses organisations » visant à promouvoir le projet politique d’une idéologie de « droite si extrême » qu’elle peut être qualifiée « d’anarcho totalitarisme »

La théorie du complot repose sur l’affirmation des journalistes que la World Vapers alliance (WVA) aurait reçu de l’argent du Consumer Choice Center (CCC) qui lui-même serait financé par des cigarettiers et d’autres organisations « libertariennes » américaines liées aux frères Koch. Partant de quelques actions de la WVA, dont une manif de bonhommes en carton et une distribution de glaces, l’article dérive au fil des lignes jusqu’à ce qui serait un vaste complot pour imposer « l’anarcho totalitarisme ». Un peu étourdi, on essaie de reprendre ses esprits.

Zéro transparence commune à la WVA et aux journalistes du Monde

En premier lieu, on cherche les sources sur l’éventuel financement de la WVA par le CCC. Et on n’en trouve aucune. Aucun document n’est référencé dans l’article sur les finances de la WVA. Ce n’est pas le cas non plus sur le site de la WVA, comme le remarquent à juste titre les journalistes du Monde. C’est indiscutablement un manque de transparence. 

Mais cette lacune de transparence est également le cas de l’article publié par le Monde, signé de Stéphane Horel et trois auteurs – Ties Keyzer, Eva Schram et Tim Luimes – affiliés à l’Investigative Desk. L’organisation basée aux Pays-Bas a signé le 17 décembre 2019 un contrat de financement par la Fondation Bloomberg, sous la couverture de l’Université de Bath, imposant aux journalistes de ne jamais révéler avoir été payés par Bloomberg [document intégral en fin de billet]. 

« Le Contractant ne doit pas faire de déclaration ni laisser entendre de quelque manière que ce soit à des donateurs, des investisseurs, dans les médias ou au grand public que la Fondation [Bloomberg] finance directement ses activités », article 2 du contrat passé entre Bloomberg et Investigative Desk, sous couverture de l’Université de Bath.

Un tel montage, inspiré de société-écran, est en soi honteux. Déontologiquement, un contrat interdisant à des journalistes de déclarer leur réel financier ressemble beaucoup à ce que le langage populaire appellerait un pacte de corruption. J’ai eu la confirmation de l’authenticité de ce contrat, initialement leaké par le Dr Farsalinos, par un employé de l’Université de Bath. Par contre, je n’ai pas pu obtenir d’information ni sur le montant versé ni sur le travail exigé par le contrat avec Bloomberg.

La pratique des conflits d’intérêts cachés des journalistes

Le fait que le Monde publie des journalistes payés en secret par Bloomberg, rappelle les pratiques scandaleuses des journalistes du New York Times avec le Solutions Journalism Network payé par la Fondation Gates sans le divulguer. Le « conflit des conflits d’intérêts » estime Tim Schwab qui a révélé plusieurs affaires de ce type aux États-Unis dans le Columbia Journalism Review (CJR). 

Dans le cas présent, l’élément est d’autant plus critique que l’essentiel de l’article publié par le Monde prend pour cible des adversaires politiques directs à Michael Bloomberg, récemment candidat aux primaires du parti Démocrate.

Le CCC annonce sans précision ses sources de financement

Si l’article du Monde ne présente aucun élément sur les finances de la WVA, il donne par contre des sources sur celui du CCC. Tout simplement, la page « About us » du site de l’organisation qui présente dans les FAQ une liste de sources de financement du CCC, mentionnant BAT et Japan Tobacco. Altria n’y figure pas, bien que les documents sur les dons du cigarettier mentionnent le CCC sans préciser non plus les sommes versées. Le CCC est donc financé, au moins en partie, par des cigarettiers. 

Enquête ou service à un politicien ?

La (très) longue suite de l’article du Monde nous emmène aux États-Unis et les organisations libertariennes liées aux frères Koch autour du réseau Atlas. Il est difficile d’y voir le lien avec le vapotage en Europe que nous promettait le chapeau de l’article. 

On imagine plus facilement pourquoi l’attaque vise des adversaires politiques de Michael Bloomberg. Sans jamais nommer le politicien, 10e fortune mondiale, dont la richesse personnelle a sensiblement progressé depuis début 2020 pour atteindre 59 milliards $ selon le dernier pointage en juillet 2021 de Forbes

L’ancien maire de New York Bloomberg aime un État autoritaire pratiquant la tolérance zéro contre les groupes sociaux défavorisés, taxant la consommation des classes populaires, et qui déclare aux médias son admiration du modèle politique de la Chine, qu’il estime incontournable en affaire

Pour lire l’article sur China Tobacco à la conquête du monde

Du côté des frères Koch, on milite pour un État réduit à sa portion la plus congrue. « Souvent appelé, à tort, ultralibéralisme, le libertarianisme se démarque par une hostilité viscérale à toute intervention du gouvernement qui, en “État nounou” (“Nanny state”), dicterait leurs choix de vie aux individus », résument les journalistes du Monde.  

« Depuis des décennies, multipliant les strates, les fondations de ces richissimes invisibles canalisent les millions de leur générosité non imposable vers une myriade de fondations et de think tanks, qui financent à leur tour organisations, consultants et commentateurs dont la parole dans les médias, d’apparence indépendante, façonne le débat public et assure la dissémination de leurs idées ». De qui parle ce passage de l’article du Monde ? De Bloomberg ou des frères Koch ?

Le point commun des oligarques

L’opposition est nette. À un point commun près, tant Bloomberg que les frères Koch aiment payer peu d’impôts et utilisent abondamment la filière de la « philanthropie » pour défiscaliser et poursuivre leurs affaires par ce biais. Les trois milliardaires font partie des 27 plus fortunés au monde, qui détiennent ensemble la moitié de la richesse mondiale. Entre 2014 et 2018, Michael Bloomberg a payé 1,3 % d’impôt effectif sur l’accroissement de sa fortune, selon l’enquête publiée par ProPublica en juin dernier.

« Les milliardaires américains se prévalent de stratégies d’évasion fiscale hors de portée des gens ordinaires », explique ProPublica. Financer des lobbyistes, des organisations-non-gouvernementales ou en payant des journalistes sous couvert de « philanthropie » est un de ses moyens d’échapper au fisc des ultra-milliardaires. Bloomberg défiscalise ainsi « approximativement 75 % » de ses revenus, selon sa déclaration à ProPublica. Cela éclaire aussi les motivations de l’intense lobbying de Bloomberg pour surtaxer les biens de consommation dont les revenus bas et moyens sont captifs. 

Je vous le concède, ce n’est pas une révélation que le Monde défend les intérêts de certains milliardaires, son propriétaire est situé sur l’échiquier des affaires. 

En résumé, on se trouve d’un côté face à un article annonçant que la World Vapers Alliance touche un montant inconnu du Consumer Choice Center dont le budget 2020 était de 983 015 €, financé en partie par des cigarettiers et, au moins initialement, une organisation du réseau Atlas. Et de l’autre, l’organisation à laquelle appartiennent trois auteurs de l’article a touché un montant inconnu de Bloomberg, qui a versé un milliard $ pour des organisations anti-vape. Des deux côtés, les bénéficiaires ne divulguent pas leurs conflits d’intérêts respectifs.

Projection psychologique

L’article du Monde se conclut sur ce qui ressemble plus à un canular de lycéens qu’une information digne de ce qui fut un journal sérieux. Selon les journalistes, la World Vapers Alliance prépare « une opération d’une ampleur inédite » contre la COP 9 anti-tabac de l’OMS, qui s’ouvre ce lundi 8 novembre. 

Le Monde prétend que les libertariens vont noyauter des délégations officielles, « en particulier dans celle du Royaume-Uni ». Peu habitués au fonctionnement démocratique, les journalistes prennent le rapport de l’Intergroupe parlementaire de la Chambre des Communes Britannique pour preuve de « la manœuvre ». À ce stade, on ne peut plus faire grand chose pour les auteurs qui accusaient quelques lignes auparavant les libertariens de souvent frôler « la paranoïa »

La négation de toute humanité chez les vapoteurs

« Un mouvement spontané de sentiment populaire qui surgit comme ça, avec des gens qui ressentent un soudain besoin de vapoter pour lutter contre le tabac ? C’est une blague ! », s’exclame « dans un rire » Jane Mayer, journaliste new-yorkaise citée par l’article du Monde.

En tant que vapoteur, aidant dans des groupes d’arrêt tabagique et défenseur bénévole en faveur de la réduction des risques, cette histoire me donne l’impression d’être le dindon de la farce. Ou comment un complot en carton est monté en mayonnaise par des journalistes, financés en secret par des intérêts particuliers, pour salir et effacer le mouvement contre les méfaits et les décès du tabagisme par ses réelles victimes. L’article du Monde qualifie ce mouvement de « blague », par la voix débordant de mépris d’une journaliste new-yorkaise. 

C’est l’information que je retiens de cet article : le violent mépris de la classe de la « petite élite » envers les personnes se débattant contre le tabagisme.

Contrat entre Bloomberg et Investigative Desk, dispo à https://drive.google.com/file/d/1hEmrH6kiszY0WOhvN73Q-xoD1Vb6Y0Vd/view?usp=sharing

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