Une thèse de médecine ausculte les vendeurs de vape à l’oeuvre dans l’aide à l’arrêt tabagique en France

De juin 2018 à août 2019, elle a sillonné le Pays basque, le Béarn et les Landes à la rencontre de vendeurs de vape spécialisés. Le Dr Maia Lacroix, armée d’outils de sociologie, s’est entretenue avec quinze vendeurs pour interpréter leur activité en partant du vécu, de la pratique et du sens exprimé par les acteurs. Fruit de l’analyse de ces entretiens, sa thèse, soutenue en juin 2020 à l’Université de Bordeaux 2, a été menée sous la direction du Dr Gérard Campagne, addictologue et médecin de santé publique à l’Hôpital de Bayonne. Première à se pencher sur la question en France, le Dr Maia Lacroix dresse ainsi le portrait des vendeurs de vape « potentiels nouveaux acteurs de santé » détenteurs d’une « expertise unique » enracinée dans un « savoir subtil »

En bref

En situation, les vendeurs articulent trois rôles en ayant le sentiment de prendre soin de leur client par leur aide à l’arrêt tabagique, de technicien expliquant les produits et de commerçant à l’écoute. En première ligne pour accompagner les fumeurs désirant arrêter, ce nouveau métier concilie une aspiration à un arrêt tabagique démédicalisé, une approche motivationnelle basée sur l’écoute et la bienveillance, et une place inédite au plaisir pour cesser de fumer. 

Cependant, ce nouvel acteur n’est pas sans friction interne entre ses différentes casquettes, la position de commerçant pouvant notamment limiter des impératifs de soin. Reste que la principale faiblesse des vendeurs de vape dans leur action contre le tabagisme provient de l’environnement hostile généré par les fakenews sur la vape, les peurs infondées sur la nicotine et le dénigrement moral par les opposants à l’approche de réduction des risques. 

Le Dr Maia Lacroix esquisse des pistes de possibles résolutions sur la base de son enquête. Une collaboration entre professionnels de vape et professionnels du soin pourrait s’avérer fructueuse pour le public, tandis qu’une formation des vendeurs aiderait à améliorer et homogénéiser leur pratique. Cependant, sans effort des autorités de santé publique pour soutenir cette démarche collective née il y a une dizaine d’années, il est probable qu’elle stagne tout comme le niveau de tabagisme de la population française.

Un travail inédit que la Revue de Santé Publique préfère ne pas publier 

La matière livrée par les quinze entretiens, accompagnés d’observations de terrain, a nourri l’analyse du Dr Maia Lacroix, déroulée sur le modèle de la théorisation ancrée. « La triangulation, autrement dit, l’utilisation combinée de différentes méthodes de recherche, a permis de contrôler [la] validité [de l’étude]. Celle-ci a pu se réaliser sur plusieurs niveaux que sont les sources de données, les méthodes de recueil et le retour des résultats aux participants », précise l’auteure. 

Son étude est la première en France à s’intéresser aux points de vue et aux pratiques des vendeurs de vape. « Elle s’intègre dans une démarche d’ouverture à de potentiels nouveaux acteurs de santé. Ces vendeurs sont en première ligne face aux fumeurs, mais encore très peu connus par le secteur médical et paramédical », souligne le Dr Maia Lacroix. « Une théorisation de leur savoir expérientiel sera essentielle pour pouvoir le diffuser à tous les acteurs intéressés », précise-t-elle dans sa thèse.

Si la lettre du RESPADD a publié en janvier 2020 un résumé sous forme de poster, la Revue de la Société francophone de santé publique (SFSP) a rejeté un manuscrit extrait de la thèse, sur lequel nous nous appuyons principalement pour ce billet. En dépit de l’originalité de l’approche et l’importance de santé publique du sujet au cœur de l’étude, la Revue de Santé Publique n’a pas voulu lui accorder de place. « L’objectif principal de cette recherche a été de comprendre quel est le rôle des vendeurs en boutiques spécialisées de vapotage face aux fumeurs », annonce le manuscrit inédit. 

Une polyvalence en jeu

En éclaireur, l’étude s’est attelée en premier lieu à cerner les ressources mobilisées par les vendeurs spécialisés et les spécificités de l’accompagnement et du conseil qu’ils prodiguent aux fumeurs pour les aider à passer à la vape et quitter la cigarette. Le Dr Maia Lacroix est partie à la rencontre des vendeurs de vape en 2018 et 2019. Se concentrant sur leur pratique, son étude met en lumière la polyvalence et le jeu entre trois rôles dans leur accompagnement des fumeurs. Le métier recourt à « trois casquettes essentielles » : soignant non officiel, technicien et commerçant. 

Le sentiment d’être soignant est « lié à leur intime conviction d’aider les fumeurs à arrêter le tabac et grâce aux retours positifs de leurs clients sevrés », explique-t-elle.

« Ça nous plait terriblement parce que c’est gratifiant pour nous de savoir que nous aidons des personnes à se séparer du tabac », témoigne un vendeur de vape (extrait du manuscrit du Dr Maia Lacroix).

Ce rôle d’accompagnement vers le sevrage tabagique s’appuie fréquemment sur la propre expérience d’arrêt de la cigarette du vendeur, mais aussi l’expérience acquise dans sa pratique professionnelle. « De par sa position, le vendeur peut se prévaloir d’une expertise unique », souligne l’auteure avant de préciser, « ce savoir subtil et les compétences qui en découlent peuvent aisément être comparés à ceux des patients-experts ».

Cependant pour réussir un bon accompagnement, « le vendeur doit garantir l’acceptation des clés et contraintes d’un sevrage réussi, qu’il estime essentielles. Il doit aussi rassurer quant à l’innocuité de la vape ». L’absence de statut officiel consolidé, conjuguée aux rumeurs négatives sur la vape, peut le mettre en difficulté face à des clients, forcément ambivalents sur leur arrêt tabagique.

La réussite matérielle

Prérequis incontournable, le vendeur doit aussi porter la casquette de technicien. « Le vendeur technicien doit sélectionner et offrir un matériel de qualité, sûr, durable et efficace pour le sevrage. Il doit également proposer un matériel adapté au besoin du client et offrir un conseil personnalisé », observe Maia Lacroix. L’expérience personnelle enrichie de la pratique de terrain d’un métier qui s’est inventé en se créant est primordiale. 

« Ce qui est important, c’est qu’on les comprenne, qu’on les entende, qu’on les écoute. C’est la base. Il faut tous les jours, à chaque client qui rentre, qui vient pour s’équiper, qui vient pour commencer un sevrage, qu’on se rappelle que nous on est passé par là et qu’on se remette à sa place », témoigne un vendeur.

Le vendeur est « aussi garant de l’usage efficace, autonome et sécurisé de la vape par le client. Pour ce faire, il doit faire preuve de pédagogie, former les clients aux manipulations et vérifier leur bonne acquisition ». Pour que l’utilisateur maitrise et agence son dispositif de vape à ses besoins et envies, la compréhension technique est un aspect essentiel. « Le vendeur technicien tente de limiter les désagréments d’usage pouvant survenir », précise l’étude.

L’écoute, l’empathie et le relationnel du commerçant

« La troisième casquette, celle du commerçant se rapporte, quant à elle, à leur statut officiel ». Les tâches de gestion et la réussite commerciale sont requises pour perdurer. La « fidélisation de la clientèle et le développement de celle-ci via le bouche-à-oreille » sont le moteur du commerce. « Le commerçant s’applique à satisfaire la volonté des clients et à répondre à leurs objectifs. Réussir les sevrages intéresse aussi bien le client que le commerçant », pointe la recherche.

« La première chose c’est d’offrir au client la possibilité d’arrêter le tabac », témoigne un vendeur.

L’étude souligne la résonnance de ce rôle avec celui de soignant, dans cette alliance quasi thérapeutique de l’aide à l’arrêt tabagique avec la vape. « Obtenir une relation de confiance reste un objectif pour lui, afin de mener à bien la prise en charge du client. Les notions d’écoute, d’empathie et de proximité sont mises en valeur par les vendeurs. La qualité de cette relation est, d’après eux, intimement liée à leur vécu personnel du tabagisme et du vapotage », analyse l’auteure.

L’influence des vendeurs sur les clients fumeurs joue aussi du référent partagé d’affronter le tabagisme. Ce point commun ouvre à une relation de confiance favorisant un changement de comportement aussi difficile que celui de l’arrêt tabagique. « L’importance de l’écoute active afin de rentrer dans le cadre de référence du client, de l’identification de ses besoins et de ses freins et ainsi adapter l’offre à la réalité » se rapprochent d’éléments de l’approche motivationnelle en soin, note le Dr Maia Lacroix.

Jongler avec les casquettes

L’aspect relationnel du commerçant et du soignant peuvent se recouvrir et se compléter. Cependant, le rôle de commerçant limite aussi le rôle soignant. « Si le vendeur “soignant” tente parfois “d’imposer” une idée “pour le bien” du client, le vendeur commerçant lui, n’ose pas contraindre et laisse libre le client de décider. Les vendeurs jonglent donc le plus habilement possible avec leurs trois casquettes », explique la médecin généraliste.

« On est dans un rôle où on ne va pas éduquer les gens, on ne va pas leur dire, “Il faut faire ça absolument”. […] On ne peut pas le faire, parce que ce n’est pas notre rôle, parce qu’on ne parle pas comme ça à un client, c’est d’abord un client. Par contre on arrive habilement, à faire comprendre et ils acceptent », témoigne un vendeur.

L’auteure esquisse une voie de contournement de ce déficit des vendeurs en suggérant des collaborations avec le monde médical. Comme l’a par ailleurs montré l’enquête menée par Sandra Joss, de l’Université de Berne, auprès des magasins spécialisés en Suisse, les vendeurs de vape se montrent ouverts à collaborer avec des professionnels du soin

« [Travailler avec des médecins] Nous on ne demande que ça. Déjà on aurait l’appui… Qu’un médecin le dise, que la nicotine, ce n’est pas si dangereux […] les gens restent attentifs aux médecins, tandis que nous… […] Si le médecin explique déjà tout bien, c’est dix fois mieux », appuie un vendeur.

Le soupçon entretenu de la cupidité

Cependant, le soupçon et la méfiance envers les intérêts commerciaux rodent. « L’image négative que l’on se fait du commerçant, partagée par certains fumeurs ou soignants, décrédibilise les vendeurs », note l’enquêtrice. Un a priori sur lequel jouent les incessantes campagnes de dénigrement, parfois portées par des intérêts financiers et politiques loin d’être innocents comme on a pu encore le constater ces derniers mois.

« Les attaques de l’industrie du tabac relevées par les vendeurs posent la question de la place des lobbys dans le domaine de la santé publique. Leur influence doit être évaluée et prise en compte par les autorités sanitaires indépendantes. Une information transparente des intéressés et la mise en place si nécessaire de mesures de protection doivent être assurées dans le souci du bien-être collectif », souligne le Dr Maia Lacroix

Les trois clés des vendeurs de vape pour mener leurs clients hors du tabac

Les expériences pratiques des vendeurs se rejoignent sur les « clés fondamentales permettant la réussite des sevrages ». « Trois éléments principaux entrent en jeu dans le sevrage tabagique par la vape : la substitution physique, le matériel et le plaisir », liste la soignante. La substitution physique vise à pallier au manque provoqué par l’arrêt de la cigarette. « Les vendeurs se basent sur une estimation du besoin en nicotine, mais aussi pour certains, sur le throat-hit ou striction de la gorge ». Cette évaluation lors du premier contact se doit d’être ré-évaluée régulièrement et éventuellement adaptée.  

« On fait un suivi. C’est-à-dire que chaque personne qu’on va équiper on va leur demander de repasser […] pour savoir si le taux de nicotine qu’on leur a donné est suffisant, s’il y a des cigarettes qu’ils n’arrivent pas à éliminer de leur journée », témoigne un vendeur. 

L’engagement des clients 

La participation active du client est indispensable. « Le client doit être à l’écoute de son corps, des signes de sur ou sous-dosages afin de pouvoir adapter la substitution physique », rapporte le Dr Maia Lacroix. 

« Avec la vape, ils vont petit à petit apprendre à se comprendre, à comprendre leur corps, à comprendre leurs besoins. […] Il faut s’écouter, il faut se comprendre », relate un vendeur.

Pour soutenir la démarche, le matériel se doit de répondre aux besoins. « Il faut prévenir et corriger les contraintes techniques et engager le client dans l’entretien du matériel ». Le matériel doit aussi répondre aux envies et au plaisir pour que le client l’adopte et adhère durablement à la démarche. « Ce plaisir passe par l’arôme, l’esthétique, la prise en main de l’objet, la production de nuages, etc. Les vendeurs et l’offre en boutique motivent les clients à tester et à obtenir ce plaisir dès les premiers essais en magasin ».

Le plaisir et la démédicalisation de l’arrêt tabagique

La chercheuse a observé deux approches envers le plaisir lié aux arômes. « Le premier tente de se rapprocher au plus du plaisir procuré par le tabac (même saveur, etc.), avec un effet qui peut être rassurant pour le client. Quant au deuxième, il propose de s’éloigner le plus possible du tabac, et de fait d’accéder à un nouvel univers possible par la vape ».

« Enfin, le statut de commerçant a probablement aidé à donner une place centrale au plaisir, clé du succès de la substitution par la vape », insiste la médecin. « La disponibilité des vendeurs et la démédicalisation du processus de sevrage tabagique pourraient aussi expliquer le succès des boutiques alors qu’un seul fumeur sur dix tentant un sevrage se tournerait vers l’aide proposée par le circuit “médical” ».

« Les trois clés pour un sevrage réussi par la vape d’après les vendeurs peuvent se résumer par : une substitution physique adaptée, un matériel fonctionnel et un plaisir à consommer », synthétise l’auteure.

Profiler les clients pour un meilleur suivi

« Forts de leur expérience, les vendeurs apprennent à reconnaître les profils des clients. Ils affinent aussi leurs compétences à repérer, anticiper et prendre en charge tout élément pouvant perturber la progression du client dans la vape, pouvant le faire abandonner prématurément et donc rechuter vers le tabac », analyse la docteure.

Le vendeur s’efforce de détecter le statut motivationnel du client. Cette motivation se décline sous deux aspects différents : la confiance en lui-même dans la réussite du sevrage et, d’autre part, sa confiance dans la vape pour améliorer sa santé.

Vaincre le traumatisme des échecs précédents

Une typologie des états motivationnels des clients se présente. Les clients en basse confiance sur leurs chances d’arrêter de fumer, souvent traumatisés par des échecs préalables.

« Souvent les gens arrivent, ils ont tous essayé d’arrêter de fumer, ils ont tous raté. Donc globalement ils ont tous la mémoire, le manque de confiance », explique un vendeur.

À l’opposé, certains clients sous-estiment la difficulté de l’arrêt tabagique et prennent à la légère les conseils et les contraintes proposées par les vendeurs pour réussir le sevrage. En particulier, des fumeurs sont persuadés de réussir sans nicotine, souvent en raison d’une conception diabolisée largement répandue.

Face à des clients ayant une conviction basse sur les bénéfices du vapotage pour leur santé, la partie est difficile pour les vendeurs. « Parce que souvent on les force en fait. Il ne faut pas venir en étant forcé », estime un vendeur.

Les interférences délétères

Durant le suivi, le vendeur doit repérer les interférences venant brouiller le maintien de la démarche. « Nous retrouvons par exemple : la crainte de la nocivité de la nicotine, la crainte d’une nouvelle addiction, la persistance du manque (mauvaise Substitution physique), les clients pressés, les clients dissuadés (par l’entourage, les médias, etc.), la perte d’engouement, les contraintes techniques, les désagréments d’usage… Le vendeur doit intervenir avant que le client n’abandonne prématurément la vape », énumère la médecin.

« À chaque fois qu’il y a un journaliste qui balance l’information “5 à 15 fois plus cancérigène”, est-ce qu’il le fait consciemment ou inconsciemment ? Combien il y a de fumeurs qui vont mourir de leur tabac, qui auront entendu ça, qui n’iront jamais plus loin, ils vont continuer à fumer », déclare un vendeur.

Face à ces situations, les vendeurs ont développé différentes interventions. Certains argumentent et livrent des explications scientifiques, d’autres procèdent par réassurance, certains intègrent des proches dans la prise en charge, l’aide technique ou la recherche du plaisir peuvent enfin soutenir le processus. 

« On a des clients qui sont de très bonne volonté qui me disent : “Je veux arrêter de fumer, mais je ne veux pas de nicotine”. Je leur dis que ça ne fonctionne pas comme ça. Et que c’est leur corps en fait qui est en demande de nicotine parce qu’il a été habitué pendant des années à en recevoir. De ce fait, il faut lui en donner encore et que petit à petit, on diminue les doses », témoigne un vendeur.

Dédramatiser pour soulager les dissonances cognitives

« Certaines situations singulières sont soulignées par tous les vendeurs et relèvent d’une attention particulière, même si tous ne les gèrent pas de la même manière », relève le Dr Maia Lacroix. Premier cas épineux, les doubles utilisateurs de vape et de cigarettes. En contact étroit avec ceux-ci, les vendeurs de vape analysent de manière fine l’hétérogénéité des « vapo-fumeurs ».

Aux yeux des vendeurs, les « vapo-fumeurs regroupent les “sous-dosés” en nicotine (consommation qui répond à un manque) et les “décidés” (consommation qui répond à une volonté). Les vapo-fumeurs décidés ne sont pas prêts ou n’ont pas envie d’arrêter totalement la cigarette ». Face à ces cas, les vendeurs n’ont pas tous la même approche. « Certains insistent pour faire abandonner les dernières cigarettes et d’autres laissent faire le temps ».

Second écueil, fréquent, la rechute. « La rechute est quasi inévitable d’après l’expérience personnelle et professionnelle des vendeurs. Si rechute il y a, la stratégie des vendeurs consiste à dédramatiser, à déculpabiliser, et à inciter à un retour en boutique au plus vite en vue de réenvisager un sevrage et se rééquiper ».

« On leur dit au client, “Ne vous inquiétez pas, vous allez rechuter”. Des fois ils n’osent même pas revenir ! “Je n’ai pas osé repasser…” Maintenant on leur dit, “Vous allez rechuter, mais ce n’est pas grave”. », extrait des témoignages.

La peur d’une « nouvelle addiction »

Un troisième cas évoqué concerne les vapoteurs à long terme. Certains vapotent par besoin, d’autres par plaisir ou passion. « La vape nécessaire sur du long terme peut inquiéter le client quant à une éventuelle nouvelle addiction », évoque la docteure. Bien que cela me semble plutôt une situation de substitution qui perdure face à la vieille addiction au tabac, comme le signalait récemment le Pr Bertrand Dautzenberg.

« L’Institut Nord-Américain des drogues, le National Institute of Drug Abuse (NIDA) définit l’addiction de la manière suivante : « Affection cérébrale chronique, récidivante, caractérisée par la recherche et l’usage compulsifs de drogue, malgré la connaissance de ses conséquences nocives ». Néanmoins, cette définition ne peut s’appliquer telle quelle à un produit de substitution, à un produit de traitement d’une première addiction, comme c’est le cas pour la vape », note la Dre Maia Lacroix.

Dans sa thèse, la Dre Maia Lacroix développe son propos sur la tension autour de cette problématique. « Le statut de commerçant vendeur de vape, n’est peut-être pas le plus à même au moment de rassurer quant à la crainte d’une nouvelle addiction. Le risque de rechute de ces vapoteurs encore en cours de sevrage, pour qui le manque persiste, semble exister même s’il ne peut être précisément évalué. De ce fait, si le vendeur se trouve en difficulté pour rassurer quant à la vape et que le risque d’abandon prématuré semble élevé, une articulation avec le système de soin, spécialisé en addictologie, serait intéressante. Un tel relais permettrait peut-être de surmonter cette inquiétude et si besoin de changer de méthode de substitution » (p. 104).

Les craintes des vendeurs de vape pour leur métier

Aux yeux des vendeurs spécialisés, « l’industrie du tabac, puissant lobby, reste la première menace pour la vape, les boutiques et les vendeurs ». Certains vape shops estiment que les modèles de vape des Big Tobacco sont inefficaces pour l’arrêt tabagique, bien que les firmes cigarettières tentent de s’implanter et se banaliser dans les boutiques spécialisées. 

En miroir de cette menace sur le marché, la guerre des normes pour désavantager les produits indépendants et efficaces est mise sur la sellette. « Les vendeurs dénoncent aussi une législation illogique et stricte qui limiterait le développement de la vape », souligne le Dr Maia Lacroix. 

« La directive européenne TPD a voulu normaliser tout ceci en disant : liquide nicotiné, flaconnage 10 ml maximum. Ça multiplie les flacons. Des décisions arbitraires qui n’amènent rien en matière de sécurité », brocarde un vendeur.

La formation, un enjeu de santé publique

Pour pérenniser la vape, comme rampe de réduction des risques face aux méfaits du tabagisme, les vendeurs soutiennent l’importance de pouvoir maintenir des prix abordables, ainsi que l’indépendance de l’industrie de la vape et des boutiques. 

« On n’a pas de visibilité. On soupçonne qu’ils vont nous imposer une taxe. […] On ne sait pas ce qu’on va devenir », constate un vendeur.

Un processus de professionnalisation et de la reconnaissance du métier de vendeur permettraient d’asseoir leur pratique. 

« Une formation globale pour tous les vendeurs ça serait, une partie santé, une partie technique, une partie réglementation, quelque chose de complet. Ça éviterait justement qu’il y ait autant de dérives », exprime un vendeur.

Sur ce point, le Dr Maia Lacroix et ses interlocuteurs n’évoquent pas la formation certifiante Amzer Glas-Cimvape initiée par Jacques Le Houezec et le syndicat interprofessionnel des indépendants de la vape (SI²V). Signe qu’elle manque de soutien et de visibilité malgré l’enjeu stratégique de santé publique qu’elle représente.

Quelle place pour les magasins de vape ?

Au terme de son enquête, le Dr Maia Lacroix fait l’état des forces et des faiblesses des vendeurs de vape, pouvant éclairer une réflexion sur « la place à leur accorder dans le dispositif de santé publique, toujours dans une perspective de réduction des préjudices liés au tabagisme ».

« La réflexion sur la valorisation de l’expertise des vendeurs doit prendre en compte les forces et les faiblesses de leur position. Il s’agirait de reconnaître leur action dans la réduction des risques pour mieux l’articuler avec le réseau de soin. Partager leur savoir avec les autres acteurs œuvrant à la réduction des risques semble particulièrement intéressant et peut s’envisager à travers diverses pratiques : demandes de conseil, patients adressés mutuellement, formations réciproques, soirées d’échange, etc. », offre en perspective le Dr Maia Lacroix.

Vaping Facts de Ministry of Health New-Zealand

Au Royaume-Uni, de nombreux Stop Smoking Services collaborent déjà avec des vape shops locaux. Assurant un accès facile à des produits de bonne qualité, les « magasins de vapotage peuvent fournir un soutien comportemental efficace aux personnes qui arrêtent de fumer », estime une étude menée en 2018 par des chercheurs de l’Université d’East Anglia. Dans la même dynamique, la Nouvelle-Zélande s’est appuyée sur ceux-ci pour lancer une campagne en 2021 ayant abouti à une impressionnante baisse d’un quart du nombre de fumeurs dans le pays. 

En France, la thèse du Dr Thibaud Le Mehaute, que nous avions chroniquée, a montré un bénéfice à un accompagnement par un magasin spécialisé pour l’arrêt tabagique à l’aide du vapotage. Malgré cela, la récente mise à jour des recommandations du Haut Conseil de Santé Publique (HCSP) appelle les soignants à abandonner leurs patients qui tentent d’arrêter de fumer à l’aide du vapotage, alors que plus de 95 % des membres de la Société Francophone de Tabacologie (SFT) le considèrent comme un outil d’aide au sevrage tabagique.

Appel aux autorités à prendre leurs responsabilités face au fléau tabagique

Ironie de la petite histoire de la santé publique française, Maia Lacroix a présenté sa thèse devant un jury présidé du Pr François Alla, qui a également dirigé la récente mise à jour du rapport du Haut Conseil de Santé Publique (HCSP) sur le vapotage, avant de démissionner. « Les recommandations concernant la vape émises par les autorités sanitaires devraient être plus claires, sans ambiguïté et largement diffusées de façon à toucher l’opinion publique et informer le monde médical », rapporte la chercheuse concernant les espérances des vendeurs de vape dans sa thèse. 

« Pour faire face à cette méfiance généralisée, tous les acteurs de santé publique, les autorités sanitaires, les médias et les professionnels de soin, devraient donc prendre leurs responsabilités, trouver l’équilibre entre principe de précaution et privation des fumeurs d’un outil de sevrage. En attendant des études plus robustes, un travail de diffusion d’informations, aujourd’hui approuvées, comme l’intérêt de la nicotine dans le sevrage tabagique, semble nécessaire », conclut la thèse du Dr Maia Lacroix.

Références :

Quelques références clés citées par la Dre Maia Lacroix non accessibles en ligne :

  • Tourette-Turgis C, Gross O. Dossier Patient expert. Rev Prat. nov 2015 ; 65 (9) : 1209‑14.
  • Mucchielli A. L’art d’influencer. Armand Colin; 2009.
  • Joly B. La vente et ses techniques pratiques. De Boeck Supérieur; 2010.
  • Rollnick S, Miller WR, Butler CC. Pratique de l’entretien motivationnel. InterEditioins, 2009.

Les rôles des vendeurs de vape dans la thèse de médecine de Maia Lacroix

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