Étude aux USA : les interdictions d’arômes de vape font exploser les ventes de cigarettes

Aux États-Unis, plus de 375 localités, 7 États et Washington D.C. ont interdit la vente d’e-liquides « aromatisés ». « Aromatisé » signifie généralement signifie les arômes autres que le goût de tabac. Une minorité d’entre eux, 2 États et environ 125 localités, ont cependant laissé en vente les e-liquides mentholés en plus du goût tabagique. En mars 2023, près de 38 % de la population américaine subissait ainsi une interdiction locale de vente de vape avec arômes. Une équipe d’économistes de la Santé, dirigée par la Pr Abigaïl Friedman de Yale, a calculé les effets de ces interdictions des arômes de vape sur les ventes de cigarettes. « Nous avons trouvé des ventes de 15 cigarettes supplémentaires par pod de 0,7 mL d’e-liquide [ou équivalent] vendu en moins en raison des restrictions sur les arômes de vape », résume l’étude prépubliée sur le Social Science Research Network (SSRN).

Tendanciellement, les interdictions d’arômes de vape ont augmenté les ventes de cigarettes par habitant de près d’un cinquième, mais cet effet se renforce avec le temps et atteint plus du tiers de ventes supplémentaires par habitant au-delà d’une année après l’interdiction. Les cigarettes préférées par les jeunes n’échappent pas au phénomène et atteignent une augmentation de leurs ventes d’environ un sixième par habitant. En regard, les ventes de vape décroissent tendanciellement de plus du tiers par habitant, pour chuter de plus de la moitié à long terme.

Des données couvrant de janvier 2018 à mars 2023

Pour évaluer les évolutions de ventes des produits, l’équipe s’est appuyée sur les données de l’Information Resources Incorporated (IRI) du 7 janvier 2018 au 26 mars 2023. L’analyse de ces données a tenu compte des biais possibles liés au traitement dynamique de données hétérogènes. En effet, le nombre de localités et États à interdire la vape avec arôme a évolué au cours du suivi. Les éventuels autres changements de réglementation pouvant affecter les ventes de tabac ont aussi été intégrés aux calculs. Les auteurs ont standardisé les données des ventes d’e-liquide en équivalent de pod (cartouche) de 0,7 ml, mode de consommation courant aux États-Unis désormais. Les données de l’IRI présentent des lacunes concernant les ventes des magasins de vape spécialisés et, évidemment, du marché noir. Cependant, ces lacunes ne concernent pas ou très peu les ventes de cigarettes, ce qui rend l’analyse de l’évolution des ventes de celles-ci très robuste.

Par rapport à des études précédentes sur le sujet qui ne pouvaient distinguer les effets d’interdictions d’arômes d’autres mesures, cette étude évalue les effets causaux des interdictions. Auparavant, une seule étude, financée par l’entreprise Juul, mobilisait les variations de ventes entre quatre États permettant d’évaluer les effets causaux de restrictions sur les arômes de vape. Le travail, publié dans l’American Journal of Health Economics, montrait que les interdictions ont provoqué la baisse des ventes de e-liquides de recharge et l’augmentation des ventes de cigarettes, mais il restait limité par le nombre restreint de territoires pris en compte.

Menée sur financement public, l’étude dirigée par la Pr Abigaïl Friedman intègre les données de beaucoup plus de localités et d’États, de caractéristiques des produits en vente, et a la particularité de pouvoir identifier l’effet sur les ventes des marques de cigarettes particulièrement consommées par les adolescents américains.

« Nous constatons que les restrictions de saveurs de vapotage entraînent une réduction substantielle des ventes de vape, en raison de la diminution des ventes de vapes aromatisées, mais augmentent également les ventes de cigarettes, à la fois dans l’ensemble et pour les marques utilisées de manière disproportionnée par les jeunes : quinze cigarettes supplémentaires sont achetées pour chaque réduction de vente d’un pod de vape de 0,7 mL en raison des restrictions de saveurs ».

Friedman, Abigail and Liber, Alex C. and Crippen, Alyssa and Pesko, Michael : E-cigarette Flavor Restrictions’ Effects on Tobacco Product Sales (September 26, 2023). Available at SSRN: E-cigarette Flavor Restrictions’ Effects on Tobacco Product Sales

À long terme, les interdictions des arômes de vape favorisent le tabagisme

L’étude confirme que les interdictions d’arômes favorisent les ventes de cigarettes. Cependant, la recherche met en lumière que l’effet se développe dans le temps. Tendanciellement, la baisse de vente de vape atteint environ 0,35 point. Cependant, cette baisse n’est que de 0,2 pt durant les premiers mois après l’interdiction, pour ensuite dépasser 0,53 pt au-delà d’une année d’interdiction. En miroir, l’effet sur les ventes de cigarettes est faible (~0,074 pt) les premiers mois, ce qui ne permet pas d’affirmer un lien causal. Mais au-delà d’une année, la relation devient clairement significative avec une hausse des ventes de cigarettes de plus de 0,35 pt.

Les auteurs ne présentent pas d’hypothèses explicatives sur les raisons de ce phénomène, mais on peut supposer que les consommateurs utilisent des stocks préalablement constitués, ou usent de combines dont ils se lassent à la longue, avant de finalement obéir au signal réglementaire et se remettre à fumer.

Les jeunes victimes des interdictions d’arômes de vape

Autre élément mis en évidence par l’étude, les prohibitions des arômes de vape sont aussi néfastes pour les jeunes. « La relation entre les restrictions de saveur de vapotage et les ventes de cigarettes persiste quel que soit le profil d’âge des produits de cigarettes, y compris pour les marques utilisées de manière disproportionnée par les jeunes mineurs », précisent les chercheurs. En s’appuyant sur une étude précédente déterminant les marques de cigarettes dont la part de consommateurs est de manière disproportionnée des jeunes, les chercheurs ont évalué les effets des interdictions des arômes de vape sur les ventes de ces cigarettes. À long terme, les ventes de cigarettes achetées avant tout par des jeunes ont bondi de près de 0.14 pt.

« Ces conclusions sont cohérentes avec le fait que les politiques contre les saveurs de vapotage encouragent la substitution du vapotage vers les cigarettes combustibles, ce qui est conforme aux résultats de 16 des 18 autres études évaluant la consommation de cigarettes suite à l’adoption de lois fixant l’âge minimum légal de vente du vapotage, à l’augmentation des taux de taxation de la vape et aux restrictions en matière de publicité (Pesko 2023). En d’autres termes, les politiques rendant les ENDS plus chers, moins accessibles ou moins attrayants semblent inciter à la substitution vers les cigarettes ».

Friedman, Abigail and Liber, Alex C. and Crippen, Alyssa and Pesko, Michael : E-cigarette Flavor Restrictions’ Effects on Tobacco Product Sales (September 26, 2023). Available at SSRN.

Qui aura le courage de tenir compte des conséquences néfastes prévisibles ?

Le travail des économistes avait été présenté par la Pr Abigaïl Friedman en avant-première à l’E-Cigarette Summit US en mai 2023, en présence d’un représentant de la Food and Drug Administration (FDA). La vidéo est désormais en ligne en accès libre. Les autorités fédérales américaines ne peuvent donc plus faire comme si elles ne connaissaient pas les conséquences néfastes des interdictions d’arômes.

En France, le récent rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) en donne un déplorable exemple, l’attitude consistant à mépriser les études sérieuses pour s’en tenir à des babillages franco-français moralistes dénués de travail, voire les dessins imaginaires de personnage ayant fait preuve de son incompétence à mener en huit ans une étude dotée de 1 million € de budget, fait que cette recherche, comme d’autres travaux de haute qualité, restera ignorée.

On ne peut certes pas extrapoler strictement les ratios américains des baisses de vente de vape et hausses de vente de cigarettes conséquentes révélés par cette étude au contexte européen ou français. Cependant, il n’y a aucune raison évidente à ce que le phénomène ne s’y applique pas tout autant, dans des proportions qui pourront varier. Une interdiction des arômes de vape ne ferait peut-être pas augmenter les ventes de cigarettes de 35 % en France. Peut-être cela serait un peu moins ou un peu plus. Mais une interdiction des arômes de vape ferait augmenter les ventes de cigarettes, y compris celles prisées par les adolescents.

Cette conséquence est si évidente, qu’il m’est très difficile de croire encore à la bonne foi des antitabacs qui militent pour interdire les arômes de vape.

Références :

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