Sondage : l’Alliance contre le tabac angoisse à l’idée que les ados évitent de fumer grâce aux puffs

L’Alliance contre le tabac (ACT) réitère son sondage sur les puffs et les adolescents, avec les mêmes travers et dérives de communication décorrélée des données que lors de celui de l’an passé. Rapide tour des bullshits et astuces de comm’ des lobbyistes anti-réduction des risques.

TOP 4 des Bullshits de la comm’ de l’ACT

En bref, quatre grands écarts entre les données du sondage BVA et la communication de l’ACT sur le sondage :

  • L’ACT prétend que la Puff est une entrée en consommation de nicotine, mais le sondage ne demande pas aux adolescents s’ils ont consommé une puff avec ou sans nicotine (de même pour le vapotage). Combien d’entre eux ont seulement essayé une fois une puff à 0 mg pour voir ? Probablement la vaste majorité, puisque les 80 % des jeunes du sondage qui ont utilisé la puff ne sont que des expérimentateurs sans lendemain.
  • Dans le sondage, 15 % des adolescents disent avoir utilisé la puff. Mais pour 80 % d’entre eux, ils l’ont seulement essayé sans lendemain. Il n’y a que 3 % d’utilisateurs actuels, tous occasionnels. Un chiffre en baisse de 40 % par rapport à leur sondage 2022 où il y avait 5 % d’utilisateurs actuels occasionnels.
  • L’ACT se soucie si peu du tabagisme adolescent que leur communiqué ne signale pas la chute du tabagisme actuel de 5 % à 3 % des adolescents dans leur sondage entre 2022 et 2023.
  • Selon le communiqué de l’ACT, la Puff amène au tabagisme, mais dans les données du sondage, il y a plus de jeunes ayant commencé par fumer à se tourner ensuite vers la puff que l’inverse.

L’Alliance contre le tabac (ACT) vient de publier un nouveau sondage sur les adolescents et les puffs en France, mené en septembre 2023 par l’institut BVA et reprenant pour l’essentiel les questions de celui de 2022. L’échantillon de base a été étendu à 1000 adolescents, ce qui rend les données un peu plus fiables que le précédent, ridiculement faible avec un panel de 400 jeunes. Malgré cela, les pourcentages des sous-groupes du sondage restent appuyés sur des bases extrêmement faibles, de l’ordre de dizaines de personnes, parfois moins.

Le narratif de l’ACT, repris sans vérification par une multitude de médias mainstream, sur les résultats du sondage est de nouveau ahurissant. Il affirme démontrer « incontestablement » (sic!) des phénomènes dont il ne présente pas même l’ombre d’un indice lorsqu’on lit les données. Et dont les auteurs n’ont pas même une idée du requis scientifique pour affirmer un tel rapport causal, établi par ce qu’on appelle les critères de Bradford Hill. En bref, le même type de manipulation et instrumentalisation des données sans rigueur ni honnêteté que lors du précédent.

L’ACT confirme ainsi avoir résolument embrassé les méthodes de propagande post-vérité pour atteindre des objectifs politiques à court terme, au mépris du sérieux de la démarche scientifique, de l’intérêt public à un débat honnête et de l’élaboration d’une approche efficace pour la santé publique. L’équipe de lobbyistes placée par Loïc Josseran à la tête de l’ACT obtiendra probablement des succès politiques à brève échéance, mais elle mine de manière durable la confiance que la population et les professionnels de santé de terrain peuvent accorder à ces « autorités ». Le mensonge et la manipulation paie sur le moment, pas sur la durée.

Un peu plus détaillé : les données réelles derrière le narratif bidonné de l’ACT

  • « Incontestablement la Puff représente une porte d’entrée des jeunes vers l’addiction à la nicotine », affirme le communiqué de l’ACT. Sauf que BVA n’a pas sondé les adolescents sur leur usage de Puffs nicotinées, ni de vape nicotinée. La présence ou non de nicotine n’est pas spécifiée dans les questions posées aux jeunes concernant la Puff, ni la vape. Or les deux produits sont disponibles sans nicotine. Il n’est pas possible de savoir si, ni combien, des jeunes qui déclarent avoir vapoté ou avoir utilisé une puff l’ont fait avec ou sans nicotine. Cela ne leur ait pas demandé, ni précisé dans la question. La lacune était déjà dans le sondage de 2022. Faut-il imaginer que sa correction aurait ruiné la possibilité du narratif prédéterminé de l’ACT ? De fait, il est « incontestablement » impossible d’affirmer quoi que ce soit sur une consommation de nicotine ou non concernant les jeunes sondés déclarant avoir utilisé des puffs ou de la vape. La député EELV Francesca Pasquini va faire voter les députés une loi pour interdire les puffs le 4 décembre, en ayant pour ainsi dire que ce sondage comme argumentaire. A mon avis, elle aura une grosse côte sur Betclick en cas de référé en constitutionnalité…
  • « La Puff (…) déjà utilisée par 15 % de cette population », prétend TF1. En réalité, le sondage recense 3 % de jeunes qui utilisent actuellement de manière occasionnelle la Puff (soit 30 jeunes sur les 1000 sondés). Dans le sondage 2022, ils étaient 5 %. De 5 % à 3 %, cela fait une importante baisse relative de 40 % entre 2022 et 2023. Si l’ACT communiquait de manière honnête, elle aurait signalé cette baisse. Cependant, il est difficile de savoir si l’usage de puff a réellement reculé ou si, à cause de la faiblesse des panels, en particulier celui de 2022, l’écart ne provient pas de la marge d’erreur. Quoi qu’il en soit, l’ACT ne s’ennuie pas avec ce genre de considération. Leur but n’est ni de comprendre ni de délivrer des données exactes, c’est de faire une campagne de comm’. Sous l’effet de leur présentation alambiquée, les médias comme TF1 amalgament les 12 % de jeunes qui ont seulement essayé, pour l’extrême majorité d’entre eux une unique fois, mais qui ne l’utilisent pas aux 3 % qui déclarent l’utiliser. Et hop, Loïc Garcimore a multiplié par cinq les utilisateurs de Puffs.
  • « Selon le sondage, 47 % des adolescents ont commencé leur initiation à la nicotine via ce produit », poursuit TF1. En réalité, dans le sondage de BVA, on ne peut pas savoir si les jeunes qui ont utilisé une Puff l’ont fait avec ou sans nicotine. On pourrait s’arrêter là, mais on raterait la jolie petite arnaque de présentation qui fait passer 47 % des 149 jeunes à avoir utilisé au moins une fois la Puff dans leur vie et pour qui c’était le premier usage d’un des huit produits ciblés par le sondage, pour les 47 % de l’ensemble des 1000 jeunes sondés. En lisant TF1, on croit qu’ils sont 470, en lisant les données de BVA, on voit que ce sont 70 adolescents. Soit, 7 % des jeunes sondés qui déclarent avoir utilisé au moins une fois la Puff et pour qui c’était leur première utilisation d’un des huit produits ciblés, dont certains sont nicotinés mais pas tous. C’était peut-être aussi leur dernière utilisation. Cette donnée ne me semble pas avoir d’intérêt évident, à part sortir des pourcentages manipulatoires (ce qui visiblement marche bien sur la journaliste de TF1).
  • Le sondage recense 3 % d’adolescents déclarant fumer occasionnellement actuellement, contre 5 % dans l’édition 2022. L’ACT est devenue si peu encline à lutter contre le tabagisme, qu’elle ne signale pas cette baisse importante du tabagisme juvénile. Comment qualifier ce silence ?
  • Parmi les 149 jeunes qui ont essayé la Puff, avec ou sans nicotine – on ne le sait pas -, 23 % ont ensuite fumé au moins une fois. Cela fait 34 jeunes sur les 1000 sondés – 3,4 % des ados donc – qui ont d’abord essayé la puff puis essayé la cigarette. En sens inverse, 37 jeunes ont d’abord essayé de fumer une cigarette puis ont essayé la puff, et 14 ont d’abord essayé de fumer la chicha puis essayé la puff. Soit 51 jeunes – 5,1 % des ados sondés – qui ont commencé par fumer du tabac avant d’essayer d’utiliser une puff, sans monoxyde de carbone ni goudrons. Donc 3,4 % des jeunes ont été de la puff à la cigarette et ses toxiques, tandis que 5,1 % ont été du tabac fumé vers la puff.
  • Combien parmi ces différentes trajectoires ont pu éviter de continuer de fumer ou au contraire se sont mis à fumer ? Le sondage ne présente aucune donnée utilisable pour évaluer le phénomène. On n’est pas dans la science, c’est juste un bricolage de communicant. Il n’y a aucune évidence dans ce sondage que la balance penche vers un effet d’augmentation du tabagisme, ou au contraire du côté d’une réduction de celui-ci par l’effet de diversion de la Puff. C’est une question impossible à évaluer sur la base de ce sondage. On a un vague indice que plus de jeunes vont du tabac fumé vers la puff (5,1 %) que l’inverse (3,4 %), mais je me garderais d’en faire une grande thèse « incontestable » sur la base bancale de ce sondage. On va laisser ce genre d’enfumage aux lobbyistes professionnels de l’ACT.
  • Une donnée dans le sondage montre que la Puff ringardise le tabagisme aux yeux des jeunes. Ils sont 82 % à estimer plus cool d’utiliser une puff que de fumer (contre 18 % à penser l’inverse). La manière dont est posée la question aux jeunes est troublante : elle est posée de manière à ce que le répondant n’ait pas de 3e choix entre « trouver plus cool la puff » ou « trouver plus cool de fumer ». C’est une question de commercial pour forcer l’interlocuteur à choisir un produit – une technique de « pied dans la porte ». Avec cette question l’ACT va encore un pas plus loin dans le fait de générer le phénomène que l’organisation prétend devoir combattre. Ceci dit, qui peut être déçu que les jeunes trouvent plus cool la puff que la clope, à part ceux qui veulent que la cigarette redevienne le premier produit d’appel avec son potentiel ultra-addictif et le tabagisme de masse ainsi se poursuive ? La question est perverse, mais le résultat inverse m’aurait beaucoup plus inquiété. Et c’était encore le cas, il n’y a pas très longtemps.
  • Un point qui ne concerne pas la Puff mais ce que l’ACT appelle les « perles de nicotine ». Un ami a attiré mon attention en se montrant surpris d’apprendre dans la presse que « 11 % des jeunes utilisent des perles de nicotine », alors qu’il n’avait jamais entendu parler du produit. C’est un peu lassant, mais l’arnaque est de nouveau de type poupée russe, un pourcentage de pourcentage qui n’est pas présenté comme tel. En réalité, dans le sondage de BVA, ce sont 11% des 21% de jeunes qui ont entendu parler des nicopops, soit 1,9 % des jeunes, qui les ont essayé. Ils sont 0,5 % à déclarer en utiliser au moment de l’enquête, soit 5 jeunes sur les 1000 sondés. Avec une base numérique si faible, il suffira que les sondeurs dénichent une dizaine d’utilisateurs l’an prochain pour que l’ACT puisse annoncer que l’usage courant a doublé en une année…
  • Un élément intéressant présenté par BVA, évidemment pas repris par l’ACT, souligne le poids du facteur de risque du tabagisme parental. Par exemple, les enfants de non-fumeurs sont 7 % a avoir au moins essayé de fumer, contre 32% des enfants ayant 2 parents fumeurs et 25 % lorsqu’ils ont un seul parent fumeur. Les ratios dans ce sondage sont encore plus prononcés que ceux admis généralement d’un risque au double pour les jeunes avec un parent fumeur et du triple avec les deux parents fumeurs. Le rôle du tabagisme parental comme facteur de risque est nié par les autorités sanitaires en France. Pourtant, l’évidence de son effet implique qu’en agissant sur le tabagisme adulte, on prévient le tabagisme de leurs enfants.

Business as usual

La petite brochette non-exhaustive de bullshits ci-dessus montre que l’ACT persiste en matière de surinterprétations, données laissées à l’abandon, extrapolations absurdes pour nourrir un buzz sensationnaliste et un agenda politicien de bas étage… En bref, de la communication manipulatoire et malhonnête.

Le problème est la communication de l’ACT. Ou plus exactement que l’ACT n’est pas une organisation de professionnels de santé, ni de la société civile, mais une agence de comm’ déguisée en organisation de la société civile sur un sujet de santé. L’ACT est devenue une organisation structurée de lobbyistes professionnels, missionnés pour atteindre des objectifs politiques. Loïc Josseran ordonne, les lobbyistes exécutent.

Les lobbyistes de l’ACT ne s’intéressent pas à comprendre la situation du tabagisme, ni à découvrir les ressorts du phénomène pour penser une meilleure politique de santé publique sur le domaine. Ils n’en ont pas les compétences, ce ne sont pas des chercheurs, ce sont des lobbyistes. Pour eux, un sondage est un instrument de communication pour atteindre un objectif assigné. Pas une enquête visant à développer une connaissance sur un sujet.

Ils auront probablement des résultats à courte échéance, ils sont pro et un budget de plusieurs millions € pour être efficaces. Cependant cette orientation de l’ACT mine en profondeur la confiance que le public peut accorder au milieu antitabac et cela se paiera lourdement dans la durée. Malheureusement le discrédit ne se limitera pas seulement à l’ACT. Cependant, les acteurs de santé ne semblent pas se soucier de cette dérive en dehors de quelques remarques en cercles restreints. Dans ces conditions, pourquoi l’ACT se priverait de continuer ?

Références:

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