La Commission européenne a-t-elle pleins pouvoirs pour la COP 10 antitabac de l’OMS ?

Avant l’ouverture de la COP 10 ce 5 février au Panama, les pouvoirs accordés aux représentants de la Commission européenne restent à peine moins floues que les positions qu’ils tiendront au nom des 27 États de l’Union européenne (UE).

Initialement prévue en novembre dernier, la 10e Conférence des parties (COP10) de la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) devrait finalement se tenir du 5 février au 10 février. Près de 1200 délégués de 182 pays et de l’Union européenne doivent participer. A quelques jours du sommet, les positions et les modalités de décisions des représentants de la Commission européenne et de la Belgique, actuellement à la présidence européenne, sont cachés au public.

L’énigmatique COM(2023)514

En septembre, la Commission avait déjà joué de délais ultras raccourcis à moins d’une semaine pour imposer les grandes lignes de la position européenne « commune » aux États membres. Mais la Commission voulait aller encore plus loin. En octobre, l’eurodéputée suédoise Sara Skyttedal, du groupe EPP, révélait dans une question écrite que la Commission européenne visait à obtenir du Conseil européen l’octroi des pleins pouvoirs à ses émissaires pour la COP10.

Ces pleins pouvoirs leur permettraient ainsi de valider directement des résolutions. A la différence des recommandations, les résolutions de la CCLAT sont contraignantes pour les Etats qui l’ont ratifié, c’est-à-dire qu’ils doivent ensuite les appliquer dans leur droit national. La Commission tente de « contourner les États membres. La proposition autorise la Commission à modifier la position de l’UE « lors de réunions de coordination sur place, sans autre décision du Conseil ». C’est sans précédent », dénonçait l’eurodéputée Sara Skyttedal dans sa question écrite.

Cette demande de pleins pouvoirs de la Commission a été présenté au Conseil européen fin octobre. Celui-ci a répondu à la Commission. Et vous savez quoi ? Personne ne connait précisément la réponse, hormis le minuscule cercle des élites dirigeantes. Pourtant le mandat de la Commission pour la COP10 existe. Il a même un numéro de document : COM(2023)514. Mais il n’est pas accessible. On peut demander l’accès. Et on reçoit un refus de la Commission sur la transparence quelques jours plus tard, sans explication sur sa motivation !

Dans cette opacité, évidemment, différentes rumeurs circulent sur ce qu’il contient. A la fois sur la question de l’étendue des pouvoirs accordés aux émissaires de la Commission à Panama et sur le contenu des lignes directrices pour les discussions sur les différents sujets qui seront débattus à la COP 10.

Brouillard sur Bruxelles

Fin octobre, la World Vapers Alliance (WVA), organisation en partie financée par des cigarettiers, affirmait dans un communiqué que la Commission a obtenu d’avoir « un rôle plus centralisé dans les négociations au Panama, mettant de côté les États membres individuels ». La WVA affirme que « selon un papier de Politico, la Bulgarie, la République tchèque, Chypre, la Grèce, l’Italie, la Roumanie et la Slovaquie ont publié conjointement une déclaration soulignant le changement de la Commission de l’approche habituelle basée sur le consensus vers l’utilisation de l’article 218 (9) du TFUE (…). Les pays ont souligné le succès du modèle consensuel au cours des neuf dernières sessions et ont regretté l’absence d’explication détaillée du changement ».

Cependant je n’ai pas trouvé sur le site de Politico trace de l’article, dont le lien n’était pas indiqué dans le communiqué de la WVA. Peut-être est-ce exact, mais en l’état je ne peux pas confirmer l’information. À l’opposé, une source à Bruxelles « pense » que la demande de plein pouvoir a été rejetée par le Conseil européen. Mais ma source n’est pas non plus en mesure de le certifier avec un document. Cependant, un article fouillé récemment publié sur Euractiv Tchéquie indique que la Commission n’aurait pas reçu les pleins pouvoirs qu’elle espérait, tout en obtenant un changement fondamental du mode de prise de décision.

La Commission a imposé un changement du mode de prise de décision

Cet article, disponible uniquement sur la version tchèque du site Euractiv, rapporte que la Représentation permanente de la Tchéquie à l’UE se veut rassurante… du moins, dans un premier temps. « La portée du mandat ne diffère pas de celle des années précédentes. La position commune de l’UE est préparée à l’avance et approuvée sur tous les points de l’ordre du jour de la COP10 », résume Euractiv. Cependant, Alice Krutilová, porte-parole de la représentation tchèque auprès de l’UE, concède que la Commission a réussi à imposer un changement du mode de prise de décision, passant du consensus à la simple majorité des représentants des Etats membres sur les questions cruciales.

« La présidence espagnole, prenant en compte un nombre important d’États membres (dont la République tchèque) qui ont émis des réserves sur le changement de procédure, a décidé que la position commune de l’UE serait acceptée de deux manières. Les positions sur les points de l’ordre du jour de la COP10 qui ont un effet juridique seront adoptées à la majorité qualifiée, et les positions de l’UE sur les points sans effet juridique seront adoptées par consensus, comme cela a été le cas jusqu’à présent », déclare Alice Krutilová [notre emphase].

Alice Krutilová, porte-parole de la Représentation de Tchéquie auprès de l’Union européenne, dans Euractiv (12.01.2024)

Ce qui signifie que les décisions les plus importantes pour les populations de l’UE pourront être imposées si 14 représentants des 27 pays membres actuels valident les choix de la Commission au cours des cinq jours de la COP10. De quoi inquiéter les défenseurs des produits de réduction des risques. En particulier en Suède, ils sont très inquiets du mutisme de leurs autorités, alors que les moyens de réduction des risques sont employés par près de 20 % de la population contre 5 % de fumeurs. Paula Ericson, la déléguée suédoise à la COP10, s’est bornée à dire qu’elle suivrait la ligne de l’UE. Mais cette ligne, elle est spécifiée dans le fameux document COM(2023)514 dont le public européen est interdit d’accès.

La réduction des risques pour cible

Ce secret amène des défenseurs de réduction des risques à craindre un scénario où le secrétariat de la CCLAT imposerait des éléments de dernière minute aux discussions de la COP10. Le coup de force pourrait viser deux produits de réduction des risques, la vape ou les nicotine pouches. Les délégués des quelques pays respectueux de la réduction des risques devront résister aux pressions des centaines de lobbyistes payés par le financier Bloomberg.

Il est hautement improbable que les délégués de la Commission et de la Belgique ne s’opposent pas aux intérêts de l’empire financier et des grands pays producteurs de tabac. Et, avec ce qui semble être la nouvelle règle de prise de décision, une minorité de pays de l’UE ne pourrait probablement plus s’opposer au vote de la Commission au nom des 27 pays de l’UE d’une résolution contraignante juridiquement.

La communication de l’OMS abandonne toujours plus la question du tabac pour ne cibler que la soi-disant « menace » du vapotage et appeler à la répression des moyens de réduction des risques. Cela a été encore le cas lors de la publication de son dernier rapport sur le tabagisme en janvier. Un signal qui n’a rien de rassurant avant l’ouverture de la COP10.

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